Le trait est précis et la couleur dégage un volume agréable. Gibrat a toujours soigné son dessin et ses univers réalistes. C’est avec la même application qu’il signe son dernier album, Le Sursis. Le résultat obtenu est sans doute un peu trop sage, mais il est cependant loin d’être raté. Le style est en parfaite adéquation avec le sujet traité. En 1943, un jeune homme, afin d’échapper au STO, se cache dans un grenier surplombant la place de son village. Tous le croient mort. Gibrat met ainsi en planche, à sa manière, un archétype souvent utilisé dans le cinéma : celui du voyeur. Le Sursis livre une petite et vivante chronique du quotidien sous l’occupation. Il est dommage que la vision de l’auteur reproduise trop de stéréotypes sur la période. Le scénario exigeait un travail supplémentaire, afin d’être plus incisif. Mais, au-delà de cela, il faut noter la recherche du dessinateur sur le point de vue. Le découpage, suivant le regard du personnage, est enrichi de trouvailles inattendues. La manière de répartir les récitatifs est également remarquable. Tout devient plus intéressant quand le voyeur -et narrateur- prend un rôle actif, quand il fait part au lecteur de sa jalousie et qu’il observe la femme qu’il aime, ou encore avoue sa totale impuissance face aux scènes qui se déroulent devant ses yeux. L’habileté de Gibrat est de ne pas avoir donné l’omniscience à son héros. Le village reste avec ses mystères et ses ombres.

Nicolas Vey