De même qu’Edgar P. Jacobs ne fut pas un auteur prolixe, il n’existe qu’une dizaine d’ouvrages le concernant. Mentionnons l’extraordinaire autobiographie Un opéra de papier, le titre de référence. Enchaînons avec Le Monde de Edgar P. Jacobs de Claude Le Gallo, qui prolonge plusieurs aspects de l’Opéra… Indiquons Edgar P. Jacobs, qui étudie en détail La Marque jaune. Et enfin citons les deux livres de Gérard Lenne, sans doute les plus analytiques et les plus « passionnés ». Tous ces titres sont heureusement toujours disponibles et nous les conseillons vivement à tous les amateurs de Blake et Mortimer (ceux de Gérard Lenne semblent épuisés chez leurs éditeurs respectifs, mais ils sont encore dans les rayons des bonnes librairies spécialisées).

Pour ceux qui désirent une introduction plus concise, nous recommandons vivement Les Entretiens du bois des Pauvres. François Rivière a fréquenté Edgar P. Jacobs pendant une demi-douzaine d’années et, parmi les nombreuses rencontres, trois journées d’entretiens ont été enregistrées en mai 1975. Les dialogues retenus par François Rivière avaient été publiés dans les Cahiers de la BD en 1976, à l’occasion d’un numéro spécial Jacobs. Les Entretiens du bois des Pauvres sont donc la première « édition-livre » de ce texte aujourd’hui introuvable. Les Editions du Carabe permettent ainsi aux amateurs de bande dessinée de découvrir l’un des très bons entretiens d’un des grands maîtres du 9e art. François Rivière aborde succinctement tout l’univers de Jacobs : sa jeunesse, sa fascination pour le « spectacle » (il a d’abord commencé une carrière de chanteur d’opéra avant d’être obligé de vivre de l’illustration), son arrivée dans la bande dessinée, etc. Si cette présentation n’est pas exhaustive, elle donne un bon aperçu des rapports de Jacobs avec la bande dessinée, du point de vue humain (comment la bande dessinée est arrivée dans sa vie, comment il en a fait son « métier ») et du point de vue de la création (comment l’auteur prépare son scénario, fait des recherches pour les décors, etc.). Bien que l’entretien ait maintenant 25 ans, il n’en reste pas moins d’une grande fraîcheur, l’intelligence des propos de Jacobs étant de nature intemporelle.

Le site des éditions du Carabe porte en exergue « au service de la belle ouvrage ». Le seul choix de cette expression (où le mot « ouvrage » est employé au féminin) est révélateur du parti pris de l’éditeur quant à l’importance donnée à la fabrication de ses publications. En effet, les bibliophiles seront ravis par ce petit format à la réalisation irréprochable. Du choix du papier (relativement épais et à la fibre apparente), à la mise en pages (sobre et adaptée au sujet comme le prouve la couverture), en passant par les illustrations de Stanislas, l’ensemble est un travail soigné fort plaisant à manipuler. La qualité du résultat est, à elle seule, un véritable hommage au Maître. Alors que la série Blake et Mortimer a été reprise par d’autres auteurs, la parution de cet opuscule est une excellente occasion de découvrir, non seulement l’homme derrière l’œuvre, mais surtout la démarche réfléchie et construite de Jacobs lorsqu’il mettait en scène personnages et intrigues. Pour les amateurs de Jacobs comme pour les amateurs de bande dessinée, Les Entretiens du bois des Pauvres permettent de mieux comprendre l’acte de création.