Dans la foulée de Japon, ouvrage collectif regroupant douze auteurs japonais et français, Casterman nous gratifie de Corée, basé sur le même principe : six auteurs francophones (ici, Bouzard, Catel, Igort, Matthieu Sapin, Tanquerelle et Vanyda) ont été pour l’occasion invités en Corée et livrent chacun à leur manière leurs impressions de voyage, tandis que des auteurs coréens (Byun Ki-Hyun, Chaemin, Choi Kyu-Sok, Lee Doo-Ho, Lee Hee-Jae et Park Heung-Yong) évoquent leur propre pays, en autant d’histoires courtes.

De fait, malgré de bonnes intentions, Corée souffre logiquement du même défaut que Japon, à savoir un manque de cohérence entre le point de vue des auteurs francophones et celui des coréens. Les premiers sont en effet placés dans une position d’observateurs extérieurs d’une culture étrangère, s’exprimant en majorité par le biais du « carnet de voyage » plus ou moins assumé -voir Catel, qui hésite entre réalité et fiction, Tanquerelle qui évoque son périple de manière métaphorique ou Bouzard, dont le double de papier se livre à ses pitreries habituelles en terre coréenne-, sauf Sapin et Vanyda, qui accouchent de véritables fictions. Du côté des Coréens, le contenu oscille sans la moindre unité entre le registre des souvenirs d’enfance (Cendrillon de Park) ou la chronique contemporaine (Le Faux pigeon de Soy). Mais surtout, comme dans Japon, il semble que certains auteurs n’aient pas compris le projet ou n’aient pas joué le jeu : Lapine de Byun ou Il tombe une pluie fine de Chaemin n’évoquent pas directement l’identité coréenne et auraient pu être publiées dans un cadre totalement différent. Un projet peut-être plus pertinent ne serait-il pas d’envoyer, parallèlement, les auteurs asiatiques en France afin d’opérer un véritable croisement des points de vue ? Enfin, contrairement à Japon, dans lequel les auteurs francophones avaient été envoyés chacun dans une ville différente, tous ont ici passé leur séjour à Séoul, ce qui produit une certaine redondance entre les histoires.

Néanmoins, cet ouvrage a un très un grand mérite : nous faire -enfin !- découvrir des auteurs coréens dignes d’intérêt. En effet, malgré le nombre croissant de titres traduits du coréens publiés en français, la production qui nous parvient peut être intégralement classée en deux catégories de non-intérêt égal : d’un côté, du « sous-manga » bas de plafond et / ou excessivement sentimental, et, de l’autre, des oeuvres « auteurisantes », un peu prétentieuses et insuffisamment maîtrisées. Corée offre donc l’occasion d’aller un peu plus loin, notamment grâce à la présence dans ces pages de deux auteurs apparemment importants dans leur pays, inédits en français, et qui nous semblent à première vue s’exprimer avec une voix propre et puissante : Lee Do-Ho (L’Arbre de Solgeo) et Lee He-Jae (Le Pin). Le premier brosse en dix pages, magistrales par leur découpage, une parabole bouddhiste qui en dit sans doute plus long à elle seule sur la culture coréenne que toutes les autres nouvelles réunies ; le second évoque, par le biais d’un dessin sublime, son histoire familiale et celle de son pays avec subtilité. Ainsi, contrairement à Japon, dont le générique était autrement plus alléchant (Hanawa, Matsumoto, Anno, etc.), mais débouchait au final sur la déception car ces contributions n’étaient pas inoubliables, Corée provoque une véritable et salutaire surprise.