Mister Lonely s’annonce comme un film de convalescence et pourtant son diagnostic est formel : Harmony Korine ne sortira plus, c’est évident, du coma où l’ont plongé les années post-Gummo. Faut-il s’en étonner et surtout, doit-on s’en émouvoir ? S’en émouvoir, à la limite, parce que Gummo, à le revoir dix ans après, reste un film splendide, puissamment singulier, peut-être le plus beau film indépendant américain de la fin des 90’s. S’en étonner, pas vraiment, parce qu’il était évident, à l’époque, que sa beauté resterait sans héritage (le calamiteux Julien donkey-boy dans la foulée, le disait nettement), que surtout, il ne pourrait rien lui arriver de pire que de se voir décliner en style, en œuvre. Problème éternel des films-monde, quand ils se cherchent une descendance, quand l’île veut devenir un vrai territoire et, se cherchant un horizon, reste échouée sur le rivage glauque de la poésie autiste.

En cela, la médiocrité de Mister Lonely produit moins une déception qu’un vrai malaise : dur, en effet, de voir le cinéma de Korine ainsi boudiné dans les habits de rêverie teenage qu’il étrennait à l’époque de Gummo. Tout le film semble pris en étau entre deux maux. D’un côté, le désir de faire revivre, sans trop y croire, l’espèce de surréalisme candide qui faisait la beauté de Gummo, cette manière de dripping trash-culturel qui séduisait alors, mais ne séduisait, au fond, que par l’insolence, la verdeur crâneuse et do it yourself qui portait son geste. Qu’en reste-t-il dans Mister Lonely? Quelques scène à sauver : un générique très beau qui voit un sosie de Michael Jackson faire de la mini-moto au ralenti sur un standard de Bobby Vinton ; une poignée de nonnes bleu électrique qui s’essaient à la chute libre sous la houlette d’un Werner Herzog plus illuminé que jamais. Dans les deux cas, Korine parvient vaguement à raviver cette espèce de mélancolie cotonneuse et bariolée qui fit de lui un petit prince du cinéma indie – la B.O. est de Jason Spaceman et des Sun City Girls. Mais même ici, le malaise persiste, parce qu’on sent bien que, d’une certaine manière, Korine se force à la régression, qu’il n’y croit pas trop lui-même, qu’il se sait trop vieux pour jouer tout à fait le jeu.

L’autre problème tient, à l’inverse, à un désir de maturité, qui consisterait à claquemurer la liberté formelle de Gummo dans les rets rassurants d’un récit. Ce récit, assez consternant, le voici : un sosie pas très ressemblant de Michael Jackson (et managé par Leos Carax), rencontre un sosie tout aussi approximatif de Marylin, laquelle l’entraîne sur une île où vivent reclus, des sosies de Chaplin (Denis Lavant, dont la présence est assez symptomatique), de Shirley Temple, Madonna ou Abraham Lincoln. En soi, ce dispositif en dit long, qui voit Korine exiler son petit barda pop-culturel à l’abri du monde, pour en tirer des effets de poésie à la noix. Gummo était beau, aussi, parce qu’il était, à sa manière, un commentaire sur les images du cinéma mainstream, un attentat freak à l’encontre de l’imaginaire teenage dominant. Mister Lonely ne commente plus rien, c’est à dire : rien d’autre que l’imaginaire flétri d’un vieil enfant-bulle.