Le monde autour de Tôru est envahi par une grisaille qui le prive de couleur, de nuance. Mais est-il notre monde ? L’adolescent fréquente un collège où d’étranges meurtres ont lieu, où des fantômes disparaissent aux angles des couloirs. Silencieux, solitaire, il ne s’amuse qu’en compagnie de Hikaru, invisible pour tous, et pour cause : il est son ami imaginaire, sa face obscure, aussi, à ses côtés depuis des années. Tôru transpire le mal-être, s’affiche « simple visiteur » sur les chats et forums qu’il sillonne la nuit, et paraît totalement égaré dans un univers où il peine à distinguer entre réel et virtuel, et ce sans que ses parents (« ses beurks », comme il les appelle) puissent rien pour lui. Son monde va se fragmenter, légèrement, quand il rencontrera Shirato, non moins étrange, un garçon en jupe de fille. A moins que la réalité soit plus complexe.

Pianissimo pianissimo raconte le parcours d’un gamin égaré qui va rejoindre le monde des vivants, s’y intégrer. Tsuji, pour le guider, use d’artifices éphémères, d’un monde-miroir sous la terre, de créatures fantasmatiques, d’intrigues immatérielles. Le romancier va toujours plus avant dans sa création onirique, mise en parallèle avec la sécheresse du quotidien, son cortège de désillusions. Vivre demande qu’on se glisse dans le moule de l’ordinaire, et c’est ce que Tôru, peu à peu, va comprendre. Comme dans Objectif, la matérialité du monde exige des filtres, des médiateurs, pour pouvoir être appréhendée. C’est à cette seule condition que Tôru pourra, à terme, trouver sa place et s’affirmer, seul face aux autres, seul au milieu des autres.

Mais le sujet ne fait pas tout. Indéniablement, il manque quelque chose à pianissimo. L’atmosphère, doucereusement angoissante, est toujours délétère. Tôru demeure lointain, pantin agité de soubresauts au fil de ses pérégrinations intérieures. On retrouve le léger malaise qui planait dans les nouvelles de La Promesse du lendemain, un goût d’inachevé, un flou distillé, avec une remarquable maîtrise, certes, mais qui n’about,it qu’à emplir le récit lui-même de cette grisaille décrite par le texte. Comme si Hitonari Tsuji en s’enfonçant dans son univers, faisait un obstacle au partage.