Documentaire réjouissant, 20 minutes de bonheur peut s’aborder de deux manières au moins. Quelques rappels, d’abord. Le film se loge dans les coulisses de feu Y’a que la vérité qui compte, émission télé animée, de 2002 à 2006, par l’impayable duo Bataille (le grand, légumineux à souhait et qui, tout arrive, fut admissible en son temps à l’ENS) et Fontaine (son siamois tout miel, au physique de taupe). Le show, dégueulasse et rigolo, fit les grands heures de TF1 en déclinant la formule du témoignage psy-trash inventée dans les 90’s. Rappelons-en le principe, puisqu’on regardait (un peu). Au centre de l’arène, un grand rideau tout blanc. D’un côté, un premier candidat à l’humiliation, venu révéler un gros secret – mettons : une lycéenne gentille mais un peu cheum qui a fait une touche sur Meetic avec la photo d’une copine bombasse. De l’autre, le destinataire de la révélation, qui, lui, ne sait pas trop ce qu’il fout là, et qu’on va obliger à administrer un râteau en direct. A la fin, tout le monde rentre à Montluçon.

La première façon de s’intéresser au film d’Isabelle Friedmann et Oren Nataf, n’est pas la meilleure. Elle consiste à n’y voir qu’une énième dénonciation de la télé-poubelle, un commentaire de plus sur l’économie des « cerveaux disponibles ». On n’aurait pas tort, le doc est très édifiant de ce point de vue, mais on ne serait guère avancé. Les artisans de ce type de programmes sont des salauds cyniques partagés entre obsession de l’audimat et mépris de classe ? Super scoop. Non, 20 minutes de bonheur vaut d’abord, spécifiquement, comme doc sur l’entreprise. Le doc en entreprise est un genre en soi, avec ses codes (ne filmer que la communauté au travail, s’abstenir de tout hors champ), ses décors (des bureaux anonymement moches), ses situations (les débriefs sur tableau Véléda). 20 minutes de bonheur se coule dans ces canons-là avec bonheur, et c’est bien ce qui passionne le plus ici : la façon dont on y documente le travail, soit la préparation de l’émission. C’est un plaisir qui tient d’abord aux personnages, et aux situations, invariablement cocasses. Fontaine qui mène les débriefs en caleçon, se lamente de la « petite faiblesse ménagère » de l’audience, ou questionne l’opportunité d’un sujet sur les homo un dimanche de Pâques. Bataille qui ne dit pas grand chose, acquiesce d’un sourire niais ou joue avec la bouffe tandis que l’autre fait les gros yeux. La batterie d’assistantes dociles, petites fourmis volontaires lancées sur la piste des pigeons qui vont remplir l’émission. Et puis il y a Serge, surtout, Serge le rédac-chef, sorte de super-profiler en sous-pull noir, mi-psy mi-Gargamel, qui chapeaute le montage en convoquant Lynch ou explique la ligne claire à partir d’une affiche de Nouvelle vague. Si les docs en entreprise sont parfois tordants, c’est parce que la rationalité technique du travail s’y donne souvent, sans le moindre recul, comme pure vision du monde. Celle qui préside à l’organisation de Y’a que la vérité qui compte fait froid dans le dos et donne le fou rire. C’est une sorte d’hyper-psychologie en roue libre dont Serge, qui est un salaud mais n’a rien d’un con, est le grand timonier. Il faut le voir, visqueux à souhait, établir le profil des candidats quand il briefe les troupes, c’est à se tordre.

Il y a une dernière chose, à mettre à l’actif de 20 minutes de bonheur, et qui tient à la façon dont ses auteurs envisagent le contenu de l’émission. Evidemment, il y a toute la dimension « coulisses », qui fait se déplier l’image télé, archi-comprimée par nature. Une séquence, par exemple, assez géniale, où l’on suit le tournage en province de ces petits modules qui voyaient la gentille Daphné acheminer les invitations au candidat. Exit le montage haché menu des standards télé, ici on voit Daphné faire le tour du lotissement, Daphné qui grelotte dans sa doudoune, qui doit refaire trois fois la prise parce que le candidat, à la porte du pavillon, est hilare, visiblement défoncé. Ça prend des plombes et c’est très beau, cette espèce d’anémie qui contredit le rythme télé. Mais surtout, il y a quelque chose qui tient au sujet même de l’émission. Le plaisir coupable qu’on pouvait y prendre tenait, d’abord, à la joie de ces micro-récits, ramassant la vie des candidats dans d’improbables romans-photos. D’où le pouvoir de fascination de ces séquences qui, dans le doc, voient les assistantes compiler les récits de vie des candidats, ou encore celle où Serge, expert en dramaturgie qui est aussi le rédacteur des romans-photos, explique doctement ce qui marche et ce qui marche moins (« Je suis obligé de réduire le bonheur, voyez, parce que le malheur est plus riche »). Friedmann et Nataf auraient pu suivre le parcours de n’importe quel candidat, dans les rets d’une telle organisation. Ils n’en ont retenu qu’une, et c’est un choix génial. Il s’agit d’une ado méchamment perturbée et affublée d’un toc aussi délirant que poétique : photographe compulsive, la fille passe ses journées à shooter des anonymes. A la diffusion, le sujet fait un flop, et Fontaine pique une crise pendant le débrief : trop barge, comme sujet, on n’est pas chez Delarue. En caleçon derrière son bol de chips, furax sous ses restes de gomina, Fontaine n’a pas compris que la jeune fille lui tendait un miroir.