Après l’affligeant Brune, en 2006, Mano (Manolis Mavropoulos, de son vrai nom) revient avec ces Habitants, une comédie sociale trash plutôt bien intentionnée, avec un vrai regard satirique, mais qui, faute de moyens littéraires et à force de clichés, ne donne hélas rien de vraiment intéressant. Le décor : Val d’Europe, la « ville-Disney » sortie de terre aux abords de Disneyland-Paris. Un paradis artificiel propret et rassurant, avec de petits pavillons individuels identiques pour tout le monde, un grand centre commercial bourré de fast-foods, de jolis gazons et une éthique sociale très politiquement correcte (soyons bons voisins, faisons des barbecues pour tout le quartier et ne parlons pas des choses qui fâchent). Au milieu de cette ville reconstituée, focus sur une famille petite-bourgeoise typique, classe moyenne commerçante qui s’est installée là pour fuir Paris, son bruit, sa crasse et les toxicomanes désaxés qui ont agressé Madame quelques mois plus tôt. Dans l’ordre, donc : Marc, la quarantaine, vendeur de chaussures indépendant à Paris, le mauvais goût très sûr, une grande facilité pour les vannes nulles, une maîtresse qu’il baise sans complexe et une grande passion pour le porno sur internet. Madame : Carine, femme au foyer, s’emmerde comme pas possible, est lucidement aliénée dans les tâches ménagères, passe des journées vides de sens et se défoule en faisant du shopping au centre commercial. Les deux mômes, touts deux lycéens : Marie, pipelette fan de R&B, de garçons et de hamburgers ; Stéphane, ténébreux torturé fan des Cure, puceau et attiré par les insultes antisémites. Mano dresse un tableau attendu mais efficace de cette petite famille au bonheur de façade, sondant assez adroitement la vacuité existentielle de Madame, le cynisme queutard de Monsieur et le mal-être romantique du fiston. A ce stade, Les Habitants sont un honnête sitcom satirique, truffé de clichés, écrit à la va-vite et très vulgaire, mais par moments vraiment drôle et bien senti.

Puis, vers la moitié, l’intrigue bascule (plus exactement, une intrigue apparaît) : quatre dégénérés masqués font irruption dans le gentil pavillon de notre famille modèle, réclament de l’argent, n’en trouvent pas, brûlent la nouvelle petite amie de Stéphane, violent Marie et humilient atrocement les parents. Résultat : une morte, une hospitalisée dans un état sérieux, une famille traumatisée et un Marc désemparé qui se met à songer à l’auto-défense. Il fait même plus qu’y songer : méfiant vis-à-vis des promesses du maire d’accroître la sécurité dans la ville, il organise une réunion de quartier, met en place un système de rondes, fait une razzia à l’armurerie du coin et, à la fin, achète même un molosse de combat nommé « Warrior ». Sa femme commence à le trouver cinglé, son fils se dit qu’il a peut-être raison. Ambiance… On sent le dénouement arriver gros comme une maison, mais Mano a suffisamment de verve pour tenir son lecteur jusqu’au bout. Les Habitants est un roman écrit à la va-comme-je-te-pousse, dénué de toute élégance, qui saute à pieds joints dans la moindre occasion de parler de cul. Les dialogues sont pathétiques, les facilités innombrables. Mais surtout, il en reste au stade de la petite comédie moqueuse, un peu roublarde, de la chronique maligne mais superficielle des banlieues aseptisées, de leur bonheur en boîte et des fantasmes malsains de la classe moyenne d’aujourd’hui. Avec un peu d’ambition, un peu d’imagination, davantage de moyens littéraires, Mano aurait pu marcher dans les pas d’un Donald Antrim (pour le côté satire sociale des quartiers propres), voire d’un Ballard (pour l’étude du vide que produit le consumérisme dans la middle-class). Il aurait pu faire mieux que donner envie de revoir Les Chiens, troublant film d’Alain Jessua sur le même thème (l’autodéfense et ses dangers). Bref, il aurait pu écrire un très bon roman. Dommage, dommage.