A l’heure où les Humanoïdes Associés semblent flirter pour de bon avec le dépôt de bilan, leur production prend chaque jour davantage des airs de cabinet de curiosité. Entre inepties jodorowskienne et sous-produits mangas laborieusement lancés, le temps des héros Métal Hurlant est bien aboli. Sic transit…Restent tout de même quelques titres, miraculeusement issus d’une politique éditoriale illisible, telle que la réédition de Franka, du Hollandais Henk Kuijpers. On a tendance à l’oublier, mais les Pays-Bas ont longtemps été l’autre autre pays de la bande dessinée. Depuis le génial Joost Swarte et sa relecture de la ligne claire, jusqu’aux plus récents Van Dongen ou Tobias Shalken, la bande dessinée hollandaise a su garder intact un sens réel de l’exploration des formes, avec une élégance naturelle qui constitue sa marque de fabrique. Cette élégance, on la retrouve dans le très beau trait de Henk Kuijpers, le créateur de la série Franka, qui vient tout juste de fêter ses 30 ans. Entre l’Ecole de Marcinelle, façon Jimmy Tousseul de Desberg et Desorgher (la meilleure série des années 1980-90 pour la jeunesse), et le vieux Clifton de Macherot, Kuijpers a notamment fait figure de véritable anomalie au sein des pages de Spirou, support qui ne comptait pas forcément le glamour et le sexy au rang de ses préoccupations édifiantes.

Or, à la manière de certaines héroïnes des meilleurs Verhoeven (époque batave), Franka est une jeune femme libre, dotée d’un aplomb sans faille au point de faire appel à son ex alors qu’il s’envoie en l’air, et qui est manifestement fascinée par la violence sous son versant le plus masculin (stupéfiante scène où son revolver pointe de son trench pour en faire une statue ithyphallique). L’autre force de cette réédition, qui commence en fait au septième volume de la série, est la magnifique restitution d’Amsterdam, qui prend des tours inquiétants derrière la fausse bonhomie du dessin. Le récit perd d’ailleurs de son intérêt lorsque Kuijpers fait de Franka une proto-Lara Croft, partant à la recherche, entre Londres, Venise et Manille, d’un dinosaure qui aurait survécu par-delà les âges. Autant dire que le lecteur suffisant se foutra donc royalement de ce gloubiboulga d’aventures pour s’attarder sans mauvaise conscience aucune sur la sculpturale Franka et guetter le prochain volume de l’intrigante demoiselle.