Danzy Senna est née à Boston, en 1970. A l’en croire, pas la ville idéale pour une enfant métisse. Mais c’est l’atmosphère de l’endroit et ses rapports aux autres qui lui ont donné les repères qu’elle exploite aujourd’hui dans ses romans, jouant sur la façon dont le milieu et la couleur de peau définissent les individus bien davantage que leur personnalité, au départ en tous cas. C’est aussi ce passé qui la fait s’inscrire résolument dans la lignée des écrivains afro-américains, sur une question raciale qu’elle considère comme une dialectique contemporaine incontournable, moteur de la condition humaine. Son premier roman, Demi-teinte, salué par la critique, exploitait ce thème sous un angle social. Symptomatique le reprend sous un angle plus psychologique. Si on y trouve toujours le même fond de quête raciale, avec une narratrice métisse souvent prise pour une blanche mais qui refuse qu’on ne voie pas chez elle ses origines noires, Danzy Senna fait ici une intrusion dans le domaine du polar façon Hitchcock, très visuel, usant de multiples ressorts pour faire monter une angoisse sourde, claustrophobique. Un huis clos dans la ville qui se referme sur une jeune femme sans repères.

New York. La narratrice de Symptomatique débarque tout juste, stagiaire mal payée d’un prestigieux magazine et confrontée au problème le plus trivial qui soit : se trouver un logement. Quand elle quitte son copain Andrew après une soirée minée par des relents racistes inconscients, elle se retrouve noyée dans l’univers des petites annonces. Mais le hasard fait parfois bien les choses : une vérificatrice du journal, Greta, connaît quelqu’un qui sous-loue un appartement à Harlem. La jeune fille s’accroche à cette piste, prend le logement et se retrouve coincée, tributaire d’un service rendu, dans une relation étrange avec Greta. Métisse elle aussi, jouant d’une identité ambiguë, elle s’immisce dans sa vie sans respecter aucune intimité, comme inconsciente de ce que ses intrusions ont de pénible, d’oppressant. Leur pseudo-amitié devient très vite glaçante, d’autant que dans le même temps, les coups de téléphone pleuvent : des gens à la recherche de l’occupante en titre des lieux, dont personne n’a de nouvelles. En plein hiver new-yorkais, la jeune femme, perdue, loin de sa famille, se retrouve dans une solitude absolue, prête à tout pour se sentir moins seule. On se projette aisément dans son esprit. Le roman est tout entier traversé par la question de l’appartenance, de l’identité, de l’exil volontaire ou subi, du piège tendu par certaines relations à sens unique. Sans prétentions, usant d’un humour toujours décalé, Symptomatique laisse libre cours à l’imagination de son auteur, dans un jeu de miroirs qui font trembler les frontières bien délimitées de notre univers habituel. Sous la surface, tout est mouvant, incertain. Un peu effrayant.