Björk, depuis ses débuts dans les Sugarcubes, est une voix, un chant, un cri, une manière de respirer, d’expirer et de le faire entendre à tout le monde, évidemment unique au monde. Ce chant est celui d’un être qui semble extraordinaire, extra-terrestre (elle vit entourée d’eau, elle a cet accent pointu incomparable) et en même temps profondément humain, animé (son chant est une expression du souffle -entendre cette manière de le reprendre et de l’expulser- de la pneuma, cette âme qui gorge de vie la matière inerte). C’est cette idiosyncrasie du chant qui fait de Björk cet être à part, ce lutin qui semble pouvoir déplacer des montagnes, l’expression d’une force et d’une volonté digne des anciennes épopées et sagas nordiques. Björk est une alien pour nous autres occidentaux et en même temps une incarnation éminemment terrestre, parce que c’est tout son corps qu’on entend vibrer, c’est le vent des plaines et le souffle des geysers qui sort de ses poumons. Si son dernier album, Medulla, explorait avant tout cette particularité vocale, digressant autour de son chant et de ses cordes vocales uniques, de manière plus intimiste et minimaliste, le Volta nouveau revient à un souci d’orchestrations « mainstream » et d’ouverture, en même temps qu’il se fait moins expérimental et moins autocentré.

De fait, dans une certaine tension vers le monde extérieur, Volta parle de mouvement sous toutes ses formes : voyages, marches, vols planés. L’introductif et single Earth intruders, produit par Timbaland et Konono n°1 donne le ton : c’est une marche militaire en quelque sorte, tribale et païenne, évoquant à la fois la progression sur le théâtre des opérations que représente la planète Terre d’une peuplade primitive ou extra-terrestre et l’action de l’homme sur la nature, violente, possessive, technologique, langagière : « Here come the earth intruders / We are the paratroopers / The beat of sharpshooters / Comes straight from voodoo ». On est dans le registre cher à Björk de la vieille opposition entre nature et culture et le morceau ressemble fortement au Human behaviour de Debut. L’album enchaîne sur Wanderlust, débutant comme un dialogue entre les sifflets de bateaux en partance, rappelant un peu le « duo entre le sifflet du bateau Queen Elizabeth et une flûte », enregistré par Moondog dans les rues de New York dans les années 50. Björk y salue le port qu’elle quitte, pour un voyage sans fin, semblant condamnée à une errance éternelle, d’île en en île. Dull flame of desire est un duo amoureux et anecdotique avec Antony (de Antony & The Johnsons) sur des cuivres que l’on dirait MIDI. On préfère nettement le Innocence produit par Timbaland (et charcuté-mixé par Björk elle-même), déclaration de la perte de l’innocence (« I once had no fears / None at all / And then when I had some / To my surprise / I grew to like both / Scared or brave / Without them »).

La plupart des titres sont accompagnés de fields-recordings en coulures aquatiques et / ou volcaniques, posant un paysage d’Islande sur des orchestrations de cuivres épiques et des rythmiques primitives, rarement syncopées. A l’aune d’arrangements plutôt agressifs, les thématiques sont violemment contemporaines, évoquant tsunamis et bombes humaines kamikazes, l’avant-dernier morceau étant un appel acid-techno à l’indépendance, très premier degré, un peu Rage Against The Machine : « Declare independence ! / Don’t let them do that to you ! / Damn colonists / Ignore their patronizing / Tear off their blindfolds / Open their eyes ». Au final, l’album est un peu trop éclectique du fait des diverses collaborations et de la volonté peu radicale d’alterner chansons « engagées » et mièvreries radiophoniques. Malgré ses qualités musicales (et son opportunisme : servir sur un même plateau Timbaland, Konono, Antony, Lighning Bolt et Chris Corsano, c’est un peu bouffer à tous les râteliers), ce disque s’inscrit juste dans la ligne de la discographie pré-Vespertine de la petite diva. Il plaira donc comme d’habitude aux fans et aux auditeurs de FIP, mais c’est un non-événement.