Maarifa street possède un sous-titre : « Magic realism 2 », renvoi direct à Aka-Darbari-Java, un album de 1983 (sous-titré « Magic realism » tout court, donc) dont l’originalité éclectique et l’influence sur quelques hérauts de la pop music avait valu à son contenu d’être qualifié de « musique classique du futur ». Pour Hassell, c’était le premier jalon d’un parcours en leader dans ce qu’il appelle lui-même le « Quatrième Monde », mixte de tradition et de modernité au sein duquel il essaye de marier l’Orient et l’Occident, l’acoustique et l’électronique et, of course, l’écriture et l’improvisation ; on y retrouve tout à la fois la trace de son apprentissage aux côtés du grand manitou sériel Karlheinz Stockhausen, celle de ses expériences minimalistes en compagnie du pape barré de la nouvelle musique américaine LaMonte Young et celle de ses enregistrements avec Terry Riley, pilier du courant répétitif et des ponts entre musique occidentale et traditions indiennes. Hassell a d’ailleurs lui-même fait le voyage pour rencontrer un maître du raga, Pandit Pran Nath, et tâcher d’ouvrir à sa trompette des horizons entièrement nouveaux. Cette recherche tous azimuts (tournée également vers la musique de spectacles ou de défilés pour Merce Cunningham ou Issey Miyake, l’écriture pour le Kronos Quartet ou la musique du film de Wim Wenders, The Million dollar hotel, en collaboration avec son ami Brian Eno) innerve les onze albums solos qu’il a enregistrés au cours des deux dernières décennies, jusqu’à ce Maarifa street (en arabe, « Maarifa » signifie « connaissance » et « sagesse », précise le texte de couverture ; il paraît même qu’il existe une authentique « Maarifa street » à Qualat Sukkar, en Irak) élaboré à partir de bandes captées lors de trois concerts donnés en 2002 et 2003 à Milan, Montréal et Paris, bandes recomposées et réagencées en studio à Los Angeles. Les instruments (trompette, basse, percussion, guitare, claviers, oud, voix) ont été enregistrés séparément puis mélangés dans un jeu de « cannibalisation » (sic) qui ne va pas sans évoquer les grands travaux de monteur du producteur Teo Macero à l’époque où Miles Davis mettait en boîte des kilomètres de méditations électriques dans ses studios new-yorkais. La familiarité est d’ailleurs assez frappante entre Divine SOS, premier morceau de Maarifa street, et Shhh / Peaceful, première plage du chef-d’oeuvre de Miles, In a silent way : même lenteur hypnotique dans la mise en route, même battement de percussions léger comme du coton (la charleston binaire de Tony Williams hier, celle, reconstituée et numérisée, de Peter Freeman aujourd’hui), quasi-clin d’oeil à l’accord de guitare enfantin de McLaughlin en milieu de morceau, même impression d’envol vaporeux dans l’ensemble. Malheureusement, la relative monotonie des sept plages du disque et l’absence de thème identifiable ont tendance à provoquer une douce descente vers l’indifférence puis vers l’ennui, plus ou moins interrompue de temps à autre par un sample intrigant ou une boucle de percussions un peu moins moelleuse que les autres. Selon qu’on goûte les atmosphères méditatives ou non, on pourra s’émerveiller de la manière dont Hassell étire le temps ou se dire qu’on n’a rien entendu de plus lénifiant depuis pas mal de mois. Par égard pour ses impressionnants états de service et son rôle de père spirituel pour toute une génération de trompettistes en particulier (Truffaz, Molvaer, Fresu) et de musiciens en général, on lui laissera le bénéfice du doute en mettant notre relative perplexité finale sur le compte d’une disposition à l’abandon provisoirement insuffisante ; qu’on soit prévenu néanmoins de la teneur globale de la galette avant d’y jeter ses oreilles.