Traiter aujourd’hui du référendum de 1988 ayant abouti à la démission de Pinochet soulevait un double problème. Les faits sont connus, les bons l’ont emporté sans drame, comment dans ces conditions parvenir à dramatiser le récit d’un succès attendu ? Surtout : il étaitdifficile de trouver matière à débat sur la question. Le bilan économique du régime de Pinochet reste controversé (forte croissance et découverte par les classes moyennes d’une certaine prospérité, mais aussi persistance de la misère pour une partie de la population), personne en revanche ne peut douter de sa violence répressive. La démocratie s’est mise en place sereinement, l’alternance s’opère de manière satisfaisante et le pays, économiquement parlant, se porte correctement, si bien qu’il ne se trouve presque plus personne pour regretter le régime militaire. Bref, si le film est fort, ce n’est pas parce qu’il serait urgent en 2013 de dénoncer Pinochet.

 

Deux films cohabitent ici. Le premier, bien fichu, mais relativement classique, retrace la lutte de militants courageux contre un pouvoir oppressif. Certes, le principe d’un vote est accepté, et le camp du non a droit, comme celui du oui, à quinze minutes d’antenne par jour. Mais cette tolérance a minima par les autorités n’empêche pas pressions, menaces, peut-être pire, s’interroge-t-on, puisque pire il y eut, indéniablement, pas si longtemps auparavant. C’est le second qui intéresse le plus : le portrait enjoué d’un pays découvrant de manière encore naïve les pratiques des démocraties occidentales contemporaines. Communistes, socialistes, chrétiens-démocrates chiliens n’en reviennent pas de pouvoir disposer, enfin, de ce canal si puissant, dont ils ne se savent d’abord que faire. Une campagne se met en place, pleine de tares propres aux démocraties contemporaines (spectacle, mauvaise foi, etc). Mais révélant aussi, surtout, le caractère joyeux de la chose politique, le goût toujours vivace pour cette « liberté des anciens », à travers le bricolage de ces clips de campagne encore rudimentaires, certains d’un kitsch pas possible, d’autres plutôt amusants.

 

La belle intuition de Lorrain, c’est d’avoir vu qu’il s’est produit, à ce moment précis, quelque chose de fondamentalement drôle. « Alors, j’ai craqué, je me suis pris pour un démocrate », sanglotait Pinochet sur le divan d’un psy hilare, le lendemain de la défaite, dans une caricature célèbre à l’époque de Plantu. C’est ce qui nous est raconté ici : comment un pays s’est pris pour une démocratie. Et partant, l’est devenue, par sa seule volonté, tordant le cou aux clichés culturalistes déterministes. A ce titre, No pourrait presque se voir comme une fable – fable sur l’apprentissage de la démocratie, n’était, précisément, le maintien en son sein du film n°1, du document historique carré, garde-fou appréciable qui rappelle que tout n’est pas soudainement devenu rose, que la campagne s’est effectuée de bout en bout dans un climat d’inquiétude, parfois de violence, et surtout d’incertitude concernant le degré de bonne foi, de fair play du pouvoir. Bel équilibre, et rappel à l’ordre utile de la part d’un film fondamentalement séduisant.