« J’osais pas te demander de faire le dernier Jeunet : t’es pas le commis aux poubelles de Chro » L’attention du rédac chef était touchante. Mais tout métier a ses astreintes, la nôtre consistant à s’enquiller, à tour de rôle, la grosse bertha cinématographique de la semaine. Et ce coup-ci, c’est mon tour. Avec un risque critique non négligeable en sus : se faire blacklister, si l’on graffigne un peu trop, de toutes les projos des prochains Jeunet (na !). Un pêt de Damoclès qui appelle à la mesure. Alors mesurons… les dégâts. Micmacs à Tire-larigot est taillé dans le même costume qu’Amélie Poulain, mais enfilé à l’envers. Les attentions touchantes de la bonne âme de Montmartre, ses jolies choses de rien, se sont mués en petites crasses de tous les jours. C’est que la cible a changé : il ne s’agit plus de rendre le sourire au quidam, mais de punir deux ignobles marchands d’armes. Ceux là même qui, par ricochets industriels, ont blessé Bazil d’une balle dans la tête et disséminé son pauvre père aux quatre coins du désert marocain. Epaulé par quelques freaks des bas-fonds, notre lobotomisé va leur donner une bonne leçon.

La cible a changé disions-nous ; pas la méthode. Micmacs à Tire-larigot déploie cette même poésie de quincailler qui avait assuré le succès des précédents Jeunet. Ce cinéma vert de gris qui joue les verts-galants avec son rythme frénétique et ses focales extrêmes. Derrière la façade qualité française, c’est donc une guimbarde tunée qui se planque, un cocktail de formol et d’amphétamines qui appelle une hypothèse : Jeunet, c’est Doisneau troussé par Kusturica. Et tant pis pour la mesure. On retrouve chez le cinéaste français comme chez son homologue yougoslave ce programmatisme bien flapi, mélange de bon sens populo (« Vous savez comment sont les gens d’ici… ») et d’hystérie en toute chose (les scènes d’action échappées de Benny Hill). Quand Un Long dimanche de fiançailles laissait croire à une tangente possible, au renouveau formel et thématique d’un cinéaste objectivement pas manchot, Micmacs à Tire-larigot le ramène au cœur de son système limbique : galerie de congénitaux, narration bout-de-ficelle-selle-de-cheval et esthétique de boutiquier publivore.

Jeunet pas changé ? A voir. Il y a de quoi s’interroger devant cette fable qui tire sur les seigneurs de la guerre. Le cinéaste a l’habitude de nous rejouer David contre Goliath, mais d’ordinaire le resserrement des enjeux (retrouver l’amour par exemple) sauve la chose de la démonstration de force. Là, le film se pique de punir des marchands de mort en prenant des grands airs (se souvenir du stabilo-bossé Alien 4) mais surtout venger les petits et les sans-grades du cynisme des puissants. Avec la naïveté de rigueur – pourquoi pas ? – mais également -et c’est plus gênant- avec une bienveillance vaguement condescendante pour tous ses antihéros (voir le traitement Banania réservé à Remington ou le phrasé trisomique de tous les autres). Micmacs à Tire-larigot rentre tant et si bien dans les cases du tableau jeunet.xls qu’il devient comme les expressions toutes faites de ce couillon de Remington : idiomatique. Et dans idiomatique, il y a…