« On récolte les plus somptueux coraux en se laissant couler. »
Proverbe californien imaginaire

A la fin des années 60, les Beach Boys ont bouclé la boucle pop. Les « plagistes » insouciants se sont mués en millionnaires barbus ; Brian Wilson a délaissé Chuck Berry pour monter un sidérant laboratoire psychédélique et tutoyer les Beatles ; le groupe est bon pour l’asile après Smile, album Sisyphe, et certains se consolent en gobant des trips avec Charles Manson. Pour bon nombre d’ayatollahs pop, la messe est dite : la légende californienne prend fin avec les sixties, Pet sounds résonne en guise d’Ave Maria. Faux, bien évidemment. Et Capitol le prouve en rééditant les albums des années 70 et 80. Inutile de rêver, il ne s’agit pas d’une enfilade de perles : un tri sévère s’impose entre les albums de reprises foireux, les disques franchement banals et les pures merveilles comme Sunflower et Surf’s up, par exemple, réunis ici sur un même CD.

Sunflower laisse bouche bée. Brian livre plusieurs sommets d’élégance, comme This whole world, Add some music to your day ou Deirdre avec Bruce Johnston. Ce dernier grave Tears in the morning, un genre de mélo digne et réussi, flamboyant comme un drame d’Elia Kazan. Forever plane au-dessus de tous les qualificatifs.
Surf’s up provient pratiquement du même tonneau. Excepté quelques mièvreries, l’album distille une étrange ambiance automnale, parfaitement mélancolique. Le titre Till I die possède l’étrange pouvoir de panser et rouvrir les plaies en une seule écoute. On saisit alors tout l’art des Beach Boys post-sixties : leur musique n’a rien perdu de son raffinement et de sa classe ; les harmonies vocales tireraient des larmes aux roadies de Motorhead. Mais Brian et les autres ont laissé quelques plumes lors du rêve psychédélique et composent (au deux sens du terme) avec leurs déceptions et leurs rancunes. Les héros fatigués sont les seuls vrais héros, ces deux albums ne disent rien d’autre.
Si Holland mérite une oreille attentive sur quelques titres, Love you constitue un véritable ovni. En un sens, les Beach Boys renouent alors avec leurs ambitions « spatiales », leur quête du son ultime. Brian Wilson s’engouffre en studio avec une armée de synthés et signe un grand disque planant, malgré une production vraiment trop toc sur plusieurs morceaux. Magistral flop commercial.

Convenus, « variéteux » et sans mystère, les disques des années 80 ne valent que pour quelques chœurs célestes. Mais rien n’est joué. Brian Wilson relève la tête avec un déroutant album solo en 1988. Un disque pratiquement enregistré sur le divan, produit par le docteur Eugene Landy, psychanalyste. Présentée ainsi, l’affaire sent le désastre à plein nez, mais Mister Wilson est de nouveau branché à la source. Des morceaux comme Love and mercy ou Melt away se hissent au rang de classique. La réédition (signée Ryko) offre quelques démos et des interviews, rien de crucial. L’essentiel était déjà dit avec l’album original. Un disque bancal mais passionnant, pop et subtil, à la fois évident et mystérieux. Ce même mystère qui manque sur le récent Live at the Roxy Theatre de Brian Wilson. Entouré d’un groupe de requins, parfaitement rodé, le leader mythique donne une performance tranquille, avec quelques moments de bravoure (Till I die, une nouvelle fois). Seule vraie surprise : la décontraction et la bonne humeur d’un musicien d’ordinaire rongé par l’angoisse. Brian Wilson plaisante entre les morceaux, reprend Be my baby des Ronettes, avec le sourire aux lèvres. Tout chemin de croix mérite sa résurrection.