C’est peu dire si on attendait beaucoup du premier album solo du sieur RJD2. Membre éminent du crew MHZ, ce jeune américain de 26 ans est à l’origine de Table scraps, album brut et brillant, réalisé en compagnie de l’équipée Megahertz au grand complet. On avait déjà repéré le garçon sur Farewell fondle’em, une compilation orchestrée par Bobbito Garcia (sortie sur le label Fondle’em Records) réunissant quelques pointures comme M.F. Doom, El-P (aka DBA The Lyrical Punisher à l’époque), Copywrite, Cage, Juggaknots, M.F. Grimm, The Arsonists ou encore J-Treds et Kool Keith. Entre-temps, El-P a embarqué tout le crew MHZ sur la barge Def Jux, comme en attestent les récentes sorties du label (Camu Tao, Copywrite, Def Jux presents…) et ce premier opus de RJD2.

Si l’on compare Dead ringer et les précédentes productions de RJD2, il ne fait aucun doute que le bonhomme a gagné un paquet de billets verts depuis 99 et s’est offert une bonne MPC, qui doit sûrement trôner dans un home-studio pépère. Mais il ne suffit pas de signer sur Def Jux et de posséder du bon matos pour pondre un chef-d’oeuvre. De fait, on ne retrouve plus ici la magie des beats tordus de Table scraps, la froideur malsaine qui torturait les neurones et s’infiltrait insidieusement dans l’esprit de l’auditoire en glaçant les rythmiques. Certes, RJD2 se retrouve seul aux commandes sur Dead ringer, et si l’on excepte Final frontier, F.H.H. et June, où se succèdent respectivement les Mc’s Blueprint, Jakki da Motamouth et Copywrite, les instrumentaux du white b-boy de l’Ohio sentent un peu trop le Dj Shadow de seconde main, lorgne un peu trop vers une « Mobyisation » du hip-hop, qui rebutera bon nombre de puristes et autres fans de Absolutely posolutely (premier maxi de MHZ sorti en 99). L’utilisation de samples soul (voix chaudes et onctueuses sauce Why does my heart feel so bad ?) et de piano légers (façon Play tout entier) laisse l’auditeur perplexe à l’écoute de pas mal de titres mal goupillés (Work, Bonus track, Smoke & mirrors, Good times roll part 2, Two more dead…), surtout s’il s’attend à du jus façon This year ou encore Widespread. Heureusement, quelques scratches bien placés (Cut out to FL., Take the picture off…) parviennent à donner quelques coups de poings dans les tempes, mais c’est surtout le grand Jakki da Motamouth qui vient remettre les pendules à l’heure sur F.H.H., en plaçant quelques lyrics bien affilés qui permettent à RJ de replonger dans le hip-hop pur grain. Même chose pour Copywrite qui déplombe carrément le titre June, où l’on retrouve quelque peu l’esprit des Megahertz, notamment grâce à quelques bruines de pianos et une rythmique tintinnabulante qui résonnent maladivement en croisant le fer avec les guitares sèches et autres riffs de guitare électrique piquants. Un très beau passage de l’album…

Avec ses beats souples et bien (trop) arrangés, sa production (trop) carrée, RJD2 déplace l’écusson Def Jux vers des dômes grand public qui feront sortir leur parapluie à bon nombre de backpackers et autres b-boys. Car la pluie RJD2 n’est pas vraiment acerbe et purement hip-hopesque, mais plutôt trip-hop (!) et mal répartie, et n’arrive jamais à tomber dans les vases communicants appropriés, ceux-là même qui nous donne envie de boire à pleine lampée le suc bien meurtrier des prods Definitive Jux. Dead ringer est peut-être l’album qui fera connaître l’écurie new-yorkaise de Cannibal Ox au grand public, mais c’est aussi et malheureusement surtout celui qui fera faire un des premiers faux pas à El-P. Voilà un opus qui aurait mérité un plus grand apport en featurings. Un comble puisque c’est une des tares de bien des albums hip-hop d’aujourd’hui.