Il était une fois une petite roumaine pauvre et inconnue. Elle devint une gloire, une légende du siècle : la plus grande, la seule mozartienne. Un conte de fées…. qui a commencé par 50 ans de souffrance, de maladie et d’incompréhension. Rien à voir avec la production des jeunes artistes lancés à coup de pub en 10 minutes.
Le public était pourtant habitué à applaudir les grandes interprètes. Déjà au XVIIIe, il s’arrachait mademoiselle Jeunehomme, pianiste brillante. Et 50 ans plus tard, Clara Wieck-Schumann montrait aisément que les femmes pouvaient avoir une carrière de soliste de premier plan. La fascination du public va aux cantatrices, aux clavecinistes -Landowska- et même à une chef d’orchestre -Boulanger. Seul le métier de compositeur leur résiste encore.

Résumons le cas Haskil : Arrivée très jeune en France de Bucarest, elle fut vite remarquée par Alfred Cortot, qui la prit dans sa classe au conservatoire et l’aida à obtenir à 14 ans son premier prix. Partie en Suisse, où elle rencontre Busoni, Clara va tomber malade, et ne pourra pas jouer pendant de longues années. Totalement ignorée lorsqu’elle remonte sur scène, elle ne peut s’imposer au public alors friand de pianistes plus brillants, plus emphatiques (comme les difficultés qu’eut Rubinstein pour s’imposer face à Horrowitz).

Haskil attendra 1947 (elle a alors 52 ans) pour enregistrer son premier disque commercial. Deux ans plus tard, elle est véritablement reconnue pour ce qu’elle restera dans l’histoire : une immense artiste. Il ne lui restera que dix ans à vivre, et à enregistrer l’essentiel de son répertoire : Beethoven (sonates pour violon et piano), Schumann, Chopin, et bien sûr, sur le tard, ce qui deviendra son répertoire de prédilection : les concertos de Mozart.

Si le 2e concerto de Chopin vaut ici pour la complicité d’Igor Markevitch, et figure dans la discographie d’Haskil comme une curiosité, le 24e concerto de Mozart est un parfait exemple de son talent. Sobriété, intensité de chaque courbe, émotion de chaque instant, jamais appuyé. Même dans les traits virtuoses le son reste beau. L’orchestre est sans doute un peu épais derrière tant de grâce, mais qu’importe, elle nous emporte. On ne sait pas si, comme Mozart, Clara Haskil avait du génie, mais au moins il est sûr que, comme lui, elle avait du goût.