Jusqu’à présent, il y avait trois sortes de disques de Kool Keith : les siens propres, signés sous son nom, ceux de ses alias (Dr Octagon, Dr Dooom…) et ceux où il se fond au sein d’un collectif (au premier rang desquels figure, bien sûr, la discographie complète des Ultramagnetic MCs). On en ajoutera désormais une quatrième : les disques de Kool Keith à l’intérieur du disque de quelqu’un d’autre. Et, pour le moment, on y classera ce Kutmasta Kurt presents masters of illusions.

Car si Kutmasta Kurt est celui qui signe officiellement cet album, c’est bien à un album de Kool Keith que, rapidement, on se rend compte qu’on a à faire. Ce qui n’est pas faire injure à Kutmasta Kurt : il avait déjà mis sa science des rythmes étranges au service de notre homme Keith, notamment sur deux titres du Dr Octagon et sur l’ensemble du déjà classique Sex style. Quiconque a déjà écouté ces albums sait tout ce que l’univers dérangé de Kool Keith doit à la production décalée de son discret acolyte. Pour son premier essai (officiellement) solo, il a d’ailleurs conservé le masque de catch qu’il arbore dans ses performances live, comme pour mieux s’effacer derrière ses guests.

Derrière son guest devrait-on dire plutôt, tant Kool Keith, tel un trou noir, déforme l’univers autour de lui dès qu’il apparaît, et aspire complètement Motion Man, le troisième larron de l’affaire. La cataracte de son flow incontrôlable, comme d’habitude, renverse tout sur son passage, canalisée juste ce qu’il faut par les beats de Kutmasta Kurt, qui lui offre ici la production qui lui faisait défaut sur ses récents Lost in space et Matthew : ce son sale et funky parfait pour ses lyrics salaces et ses rêves humides en 4/4. Il va jusqu’à lui refaire, comme ça, un petit breakbeat à la Ultramagnetic MCs (The Bay-Bronx Bridge), résumé musical en 3 min 40 de quinze années de carrière barrée. Ce disque est aussi l’occasion pour Kutmasta Kurt de faire la peau une bonne fois pour toutes à cette malédiction marketing dont, tout comme DJ Shadow, il a souffert au cours des années 1990 : « Le trip-hop, ça n’existe pas, alors arrêtez de me faire chier avec ça », entend-on en substance sur la première plage du CD. Qu’il ne s’inquiète pas. Ce n’est sûrement pas à côté de nos vieilles compiles PussyFoot plus écoutées depuis cinq ans qu’on rangera son disque. D’ailleurs, on ne le rangera pas.