Décidément, l’équipe de Rectangle semble fidèle en amour : Costes le maudit, l’infréquentable Costes de FN/NTM ou Livrez les blanches aux bicots semble avoir trouvé une famille d’adoption auprès de Quentin Rollet et Noèl Akchoté, responsables du label depuis toujours. Après le EP Vivre encore (96) et le LP Nègre blanc (98), ils offrent un nouveau CD à notre outsider national. Pour ceux qui auraient raté les épisodes précédents (soit vingt années d’underground forcené de la part d’un performer parmi les plus hardcore), Jean Louis Costes est le personnage le plus controversé et dérangeant qu’ait jamais enfanté la scène française du début des années 80. Année après année, il a accumulé une multitude de cassettes, vidéos et CD ; une sorte de piédestal auto-édifié où il reformule sans cesse un individualisme forcené et jusqu’au-boutiste. Tour à tour figure martyre et martyrisante, touchante et répugnante, Jean Louis Costes ne s’embarrasse pas de savoir ce que le reste du monde peut penser de son œuvre et utilise les moyens du bord pour produire un magma de sons servant de bases aux chansons et textes qu’il assène de manière crue dans les tympans plus ou moins résistants et consentants de l’auditeur. Jouant toujours avec la limite de la censure, Jean Louis Costes s’est vu plus ou moins annihilé (après un procès intenté par la LICRA, le MRAP…) et l’a parfois durement éprouvée (interdit en FNAC et son site internet censuré). A la suite de ces histoires, les auditeurs sont partagés : Costes facho ou Costes explorateur de la (mauvaise) conscience blanche européenne ?

Aujourd’hui, sur Nik ta race, Jean Louis Costes s’ouvre au reste du monde et collabore avec une brochette de rappeurs. Ici, comme sur d’autres albums, la voix de Costes est prise dans ses vertiges de violence et assène un monologue habité et entêtant à la manière de celui de Philippe Nahon, le boucher de Seul contre tous de Gaspard Noé. Dès l’ouverture, sur Sperme blanc, le thème est clairement annoncé : cet album parle du racisme, de l’incommunication, avec fureur et hargne, dans l’urgence et la crispation coutumière à Jean Louis Costes. Et qui d’autre que Costes aborde aussi frontalement ce sujet sans se retrancher à un moment ou un autre derrière le cliché (le rap/ragga français) ou le politically correct (la variété blanche) ? Costes se positionne : « Je suis Costes ( …) né en 1953 à Paris, de parents français : un vieux con de Français (…) » mais précise ensuite « mais au fond je suis un bicot. » La suite servira à démonter les principes de classification et de carcans sociaux et raciaux.

Les chansons de Costes sont toujours aussi brutales, voire ordurières mais, sur cet album, le climat est moins oppressant qu’à l’accoutumée grâce aux interventions des invités : la Confrontation de Criminology répond directement à l’ouverture de Costes et, par la suite, chacun intervient. Ghrib lance un « raï pornographique » sur Zobi où chacun semble prendre son plaisir et Nejnoun répond sur le plan politique avec Enzo Gespa. Jean Louis Costes tente même quelques raps (à sa façon), comme sur Négro n’est qu’un mot, où il dénonce sa race (blanche) et s’oppose au concept même de race en renvoyant dos à dos identification et stigmatisation. Sur KKKU, Costes évite l’écueil attendu de la fraternisation prévisible avec ses collaborateurs rap et l’incompréhension est finalement rattrapée par la farce. A ceux qui feraient encore l’équation Costes = SS, on conseille le livret de l’album, hilarant roman-photo signé John B. Root, qui le situe directement dans l’esprit « bête et méchant » du Hara Kiri de la grande époque. Les boss de Rectangle souhaitent d’ailleurs que cet album amène un public plus large vers Jean Louis Costes ; un public qui l’écouterait avant de le juger…

A l’issue de Nik ta race, et pour la première fois sur un album de Costes, on a droit à un moment de douceur et de mysticisme avec Louons l’Eternel, en duo avec Darline. Evidemment, l’irrécupérable Costes ne peut s’empêcher de conclure l’album sur ce sempiternel constat « l’homme est une merde, l’homme est une ordure (…) je ne suis qu’une merde qui souffre, qui a mal au ventre, comme vous (…) seule la musique est un soulagement ».