Comme son grand copain Atom Heart (auteur du génial El baile aleman, disque de reprises de Kraftwerk à la sauce cha cha cha-salsa-merengue), Bernt Friedman rend lui aussi hommage au latin jazz avec ce Con ritmo, compilation de maxis vinyle. Disque complètement improbable (il est impossible de deviner à la première écoute la date de son enregistrement), Con ritmo est, au long des huit morceaux qui le composent, un pur lieu abstrait destiné à désorienter l’auditeur. Plusieurs grandes tendances s’y mélangent si habilement (jazz rock, exotica, électronique, rock progressif, latin jazz, etc.) qu’on n’y comprend plus rien. On peut même ressentir une sorte de gêne. Ce à quoi bien sûr on reconnaît que Friedman a réussi son coup.

Ainsi, par exemple, sur Demolition derby, ces basses volubiles, cette pléthore de vibraphones, ce piano électrique : tous les ingrédients du jazz rock sont là, à cela près qu’on le dirait joué en orbite par des extraterrestres qui l’auraient appris dans des manuels. Le résultat est un objet sonore décalé qui multiplie les clins d’œil sans s’en rendre compte, ou presque. Plus simplement, c’est le disque que Squarepusher rêve peut-être de faire. Ailleurs, sur Octrahedral spheric caffufle, on assiste impuissant au mix de la trompette de Miles avec le rock exubérant de Magma, le tout volontairement ralenti, un peu comme Platin Tundra, merveille d’électronique cosmique sous Prozac, réminiscence des vieux Nonplace Urban Field (ancien pseudo de Friedman). Destination unknown, avec la guitare de Joseph Suchy (qui joue pour l’occasion comme un John Mc Laughlin hispanisant alors qu’il vient de sortir un disque expérimental et bruyant sur Grol, SMI2LE) et les délires électroniques de Friedman, semble vraiment sortir du cerveau d’un malade mental. Disons pour simplifier qu’il s’agit de la musique qu’Ed Wood souhaiterait avoir pour ses films aujourd’hui : hors du temps et de l’espace, figée comme l’exotica dans une artificialité de rêve et de toc. Pas allemands pour rien, Friedman et Atom Heart jouent sur Das wesen aus der milchstrasse une sorte de délire cosmique sans aucune honte qui rappelle aussi bien Hawkwind que Klaus Schulze ou Herbie Hancock. Un vrai bonheur pour les nostalgiques, d’autant que le bassiste s’en donne à cœur joie dans le registre « cette basse est une masse ».

Un disque étrange donc, plein à craquer d’humour au 23e degré et de références musicales énormes, mais dans lequel on ressent un vrai plaisir de jouer chez le groupe. Friedman est en effet accompagné sur ce Con ritmo des musiciens avec lesquels il avait fait Just Landed (son disque de dub). Ayant épuisé tous les clichés habituels de la techno et de la musique électronique, Bernt Friedman (comme Atom Heart) se tourne vers d’autres solutions, d’autres mélanges, d’autres mixtures. Ce n’est jamais complètement réussi, mais c’est toujours passionnant : un disque trompe-l’œil !