La grand-mère la plus tonique d’Angleterre n’en finit décidément plus de rire au nez de la vieillesse : à l’âge où d’autres se laissent lentement sombrer dans la sénilité et l’assistanat, Mary Wesley, 76 ans à l’époque des faits, donne le meilleur d’une œuvre commencée sur le tard et couronnée d’un succès presque immédiat. Ce n’est effectivement qu’à la disparition de son second mari, au début des années soixante-dix, que la fraîche retraitée désargentée s’installe dans le Devon et décide, pour renflouer les caisses et se pimenter un peu l’existence, de s’essayer au roman. Pour avoir occasionnellement pondu les feuillets d’un époux journaliste toujours en retard (il fut le correspondant à Berlin du Sunday Times, où travaillait également le créateur de James Bond, Ian Fleming) et publié deux livres pour enfants sous le haut patronage de la romancière Antonia White, l’écriture lui était déjà une chose plus ou moins familière ; son premier jet, Souffler n’est pas jouer, n’en sera pas moins refusé par une série de maisons londoniennes mal inspirées, seul l’éditeur MacMillan s’intéressant finalement à ce texte énergique et aux déboires de son héroïne suicidaire, Mathilde. (L’anecdote raconte que la romancière, à peine assez riche pour s’acheter du thé, répondit à son correspondant qu’il était hors de question pour elle de s’offrir un billet pour Londres. Séduit, l’éditeur le lui offrit sur le champ, y ajoutant même une avance confortable.) Débutait ainsi l’une des carrières les plus tardives de la littérature britannique, enrichie depuis d’une bonne douzaine de romans piquants et percutants parmi lesquels cette Mansarde de Mrs K. parue en 1988, où l’on retrouve toute la verve, la malice et l’acuité ironique de la vieille dame du Devon.

Planter un personnage de quelques coups de plume est sans doute l’une des choses qu’elle fait le mieux : Laura Thornby, quadragénaire rayonnante au tableau de chasse impressionnant, sort à peine d’une liaison sans lendemain avec un chef d’orchestre roumain lorsqu’elle rencontre Claud Bannister, apprenti-romancier en pleine tourmente créative qui cherche à s’émanciper de la tutelle parentale sans trop savoir où aller. Elle pourrait presque être sa mère, mais n’en cède pas moins à l’envie de l’ajouter à la liste de ses conquêtes et caprices : bien que voué à ne pas être plus pour elle que l’un de ces jouets amoureux avec lesquels elle s’amuse un temps avant de se lasser, l’attachant Claud va rapidement occuper dans son esprit une place plus sérieuse que prévu. Installé dans la mansarde exiguë qu’elle-même avait loué quelques années auparavant, celui-ci va toutefois s’enliser de plus en plus profondément dans le monde romanesque auquel il cherche à donner forme, laissant naître et grandir en lui l’image d’une amante idéale composite en laquelle Laura trouvera bientôt une rivale à sa hauteur.  » Elle réalisa avec un choc ce qui se passait : il ne lui faisait pas l’amour à elle, mais à cette fille qu’il avait inventée.  » Voilà pour le fil conducteur d’un roman cocasse et espiègle qui file dans bien d’autres directions au gré des tribulations et sautes d’humeur de ses personnages, principaux comme secondaires : sous le punch d’une intrigue tragicomique se dessinent, comme d’habitude, la pétillante comédie de mœurs et le tableau acide d’une petite bourgeoisie anglaise naphtalinée (où elle-même a grandi) auxquels se ramènent tous les livres de Wesley. Epinglant avec une joie massacrante le snobisme ambiant et le poids des habitudes provinciales figées dans la glaise, elle donne à nouveau chair à ses figures de prédilection : la mère de notre romancier en herbe est de celles-là, femme longtemps compressée dans le carcan d’un mariage foireux et qui trouve enfin la force d’aller voir ailleurs si la vie n’est pas moins grise. Sans jamais verser dans l’éloge de ces excentriques dont elle certifie elle-même, lorsqu’on lui parle de sa vie de bohème, ne jamais avoir fait partie, Mary Wesley fait montre d’une impertinence pour le moins vivifiante. Roulez, jeunesse.