Un feu d’artifice, un vrai bonheur, un enchantement… tels sont les sentiments qu’inspirent ces Mille et une nuits, et encore les mots ne peuvent-ils retranscrire avec précision la palette d’émotions qui tour à tour assaillent le lecteur de ce chef-d’oeuvre de la littérature.

On croyait le connaître, ce livre. On l’avait lu, entendu. On se l’était laissé conter. On l’avait même parfois à son tour raconté. Las ! Les récits de notre enfance n’en étaient qu’une version dénaturée, édulcorée, affadie. Expurgée de sa crudité, de sa fraîcheur, de sa poésie. Accrue d’autres contes aussi qui, s’ils n’en sont pas moins célèbres, n’appartiennent pas au corpus originel.

Il a fallu tout le talent (et le travail) de René R. Khawam pour restituer les Nuits dans toute leur beauté. Près de quarante années de recherches exclusivement consacrées à ce dessein : rétablir le texte dans sa puissance, rendre son pouvoir au verbe, et ainsi démontrer le talent d’un auteur aussi génial que désespérément inconnu. Et il faut dire et répéter le ravissement que procure la lecture de cette œuvre protéiforme. Plaisir immense d’une plongée dans le monde de l’enfance, et cela même si ces contes ne sont pas destinés aux plus jeunes. L’impatience à connaître la suite, l’émerveillement face aux ruses des djinns et autres ifrites, ces êtres malins qui tantôt aident à la gloire, tantôt concourent à la perte ; les rires provoqués par la bêtise de certains personnages, la fascination exercée par ces contes à tiroirs (l’histoire dans l’histoire dans l’histoire… à une échelle telle qu’il est parfois impossible de se remémorer le conte initial). Tout cela, c’est à l’enfance qu’on l’associe, malgré soi.

Mais bien plus qu’un recueil de contes -et elles ne seraient que cela qu’on les aimerait déjà- les Mille et une nuits constituent un précieux témoignage de l’époque où elles furent écrites -entre les XIIe et XIIIe siècles. En ces temps règnent les khalifes, conseillés par des vizirs. Ils vivent dans des palais où, dans les jardins, mille fleurs exhalent leurs parfums, tandis que l’eau des bassins rafraîchit l’atmosphère, et où chaque pièce est un trésor d’architecture raffinée et précieuse. Leurs compagnes vivent voilées mais, loin d’être soumises, elles mènent souvent le bal, choisissant leurs amants, leur faisant endurer parfois mille tourments. Et dans les ruelles étroites des villes, marchands, mendiants, portefaix se mêlent.

L’islam, pour être quasi omniprésent, n’en est pas moins autre que celui que nous connaissons aujourd’hui. Plus libre, sujet à interprétations, il se laisse aisément contourner. Mais déjà l’on sent poindre la menace d’une radicalisation. Le danger, aussi, d’une dégradation de la vie -on parle d’invasions, de pilleurs, de voleurs. Le monde est en train de changer.

Passionnantes aussi, ces Mille et une nuits, en tant qu’introduction rêvée à la littérature arabe, à sa saveur, sa « gouleyance », son humour. À la force de sa poésie, encore. Qu’ajouter à ces quelques vers : « Son souffle, c’est du musc ; Sa joue, ce sont des roses ; ses dents, des perles et l’eau de sa bouche, une boisson qui enivre. Sa taille, celle d’un rameau. Sa croupe, dune de sable arquée ; cheveux de nuit et visage tel un disque brillant de lune ». (Les Cœurs jumeaux, tome 2) ? Des poèmes tels que celui-là, il en est des dizaines. Peu habitué à cet enchevêtrement de prose et de poésie, le lecteur est d’abord dérouté, mais le plaisir bientôt domine. Perdu, il le sera encore pour mille autres raisons. Mais toujours reviennent fascination, émerveillement, éblouissement. Une promesse de voyage.