Edward Carey ! Voici plus de dix ans qu’on attendait de retrouver cet écrivain et illustrateur anglais dont les deux premiers romans, L’Observatoire et Alva et Irva, avaient été traduits au début des années 2000 par Phébus. Héritier de Mervyn Peake, cousin de Tim Burton, neveu d’Erik Satie, Carey est un inventeur de mondes macabres et enfantins, gothiques et poétiques, autistes et merveilleux, à la lisière du conte pour adultes et du récit pour enfants. Le Château (Heap House, en V.O.) se présente comme le premier tome d’une trilogie (difficile, du coup, de ne pas y voir un hommage à Gormenghast, de Peake) dont le deuxième, Foulsham, est déjà paru en anglais.

La série, intitulée « Les ferrailleurs » (« The Iremonger »), raconte l’histoire d’une famille de collecteurs de déchets, les Ferrayor, dans le Londres des années 1870, apogée de la Révolution industrielle dont Dickens a décrit la naissance. Les Ferrayor vivent dans un manoir de bric et de broc, construit à partir de maisons prélevées dans la ville et bricolées ensemble, au milieu d’un gigantesque district entièrement couvert d’ordures. Parmi les nombreux membres de la famille réunis sous ce toit, le petit Clod, 15 ans, gamin maladif et pensif doté d’un pouvoir surprenant : les objets lui parlent. Plus exactement, ils lui révèlent leur nom. Il faut dire que chaque Ferrayor, à la naissance, se voit attribuer un petit objet, « l’objet de naissance », qui l’accompagnera partout et toujours. Pour Clod, c’est une bonde de lavabo. Là-dessus arrive au château une jeune servante, Lucy, reléguée dans les étages inférieurs, et chargée de briquer les cheminées…

Cet inclassable récit réactive plusieurs thématiques des deux premiers romans de Carey, notamment la passion pour les objets (un quasi animisme, en fait), le goût des listes, des catalogues, des collections, etc. L’intérêt, hélas, s’émousse un peu en cours de lecture, la faute à une accumulation de dialogues un peu longuets et à une langue qui, peut-être aurait mérité plus de soins. Reste qu’on peut difficilement rester insensible au charme obscur et drolatique de cet univers à mi-chemin entre Edward Gorey et Roald Dahl, avec des réminiscences de littérature victorienne (et de très beaux dessins en noir et blanc à chaque tête de chapitre). Si vous trouvez L’Observatoire et Alva et Irva d’occasion, commencez néanmoins par ceux-là.

Traduit de l’anglais par Alice Seelow.