Etrange destin que celui de Denton Welch : une vie en forme de course trop tôt brisée, d’abord, avec un côté tragique qui donne à son personnage un air de jeune héros maudit ; une carrière littéraire pour le moins contrastée, ensuite, surtout en France, où le public aura dû attendre plusieurs décennies avant de découvrir les trois romans qu’il publia avant de mourir, à l’âge de 31 ans, en 1948. Et encore : si, grâce aux éditions Hamy, on connaît son magnifique Voyage initiatique et ces Soleils brillants de la jeunesse, le troisième élément de la trilogie, La Promenade interrompue, n’est accessible que dans une édition introuvable de 1955, chez Plon (qui traduisit également son Journal à la même époque). Denton Welch ne manque pourtant pas d’admirateurs : à l’époque où Charles Bukowski travaillait ardemment à la résurrection littéraire de John Fante, William Burroughs, lui, se chargeait d’écrire une préface aux Soleils brillants (selon le très beau titre choisi par Michel Bulteau pour la version française ; le titre original est In youth is pleasure), préface dans laquelle il affirmait d’entrée de jeu que Welch était, « sans hésitation », l’écrivain qui l’a le plus influencé. « Mon Kim Carsons, avoue Burroughs à propos du héros de son roman Parages des voies mortes, est Denton Welch. Sa façon d’être, de s’exprimer, de penser, c’est du Denton Welch pur ».

Welch naît en 1915 à Shangaï de parents anglo-américains ; il y passe toute sa jeunesse avant d’être réexpédié en Grande-Bretagne, où il fait ses études. Sa mère, restée en Chine, meurt lorsqu’il a douze ans : premier drame d’une vie que déchirera définitivement un grave accident de la route, en juin 1935. Renversé par une voiture, il se brise la colonne et reste paralysé plusieurs mois. Le jeune homme ne marchera plus désormais qu’avec difficultés, et souffrira jusqu’à sa mort prématurée de maux particulièrement pénibles, aggravés par des migraines chroniques. Il n’en continue pas moins de se livrer à la peinture et au dessin (les éditions françaises de Voyage initiatique et des Soleils brillants en reproduisent deux) : en 1941, ses œuvres sont exposées à Londres. C’est au tout début de la guerre, en 1940, qu’il se décide à écrire : des poèmes, d’abord, publiés dans des revues confidentielles, puis un article sur le peintre Walter Sickert que le grand Cyril Conolly fait paraître dans Horizon. Quelques mois plus tard, l’éditeur Herbert Read accepte le manuscrit de son Voyage initiatique, que la poétesse Edith Sitwell se propose aussitôt de préfacer. Grâce à son appui et à ses efforts pour faire connaître le livre, c’est un succès critique et public ; Welch commence alors à écrire les Soleils Brillants de la jeunesse, publiés en février 1945. Durant les trois années qui suivent, alors que sa santé se détériore, il écrit encore quelques nouvelles et reprend le manuscrit de son dernier roman, La Promenade interrompue. Il meurt le 30 décembre 1948.

Tout comme Voyage initiatique, Soleils brillants est un roman de l’enfance : celle d’Orvil Pym, jeune anglais orphelin de mère, dont on suit les escapades pré-adolescentes durant les vacances estivales de ses quinze ans. Il réside avec son père et son frère aîné dans un vieux palace de luxe anglais, s’y trouve livré à lui-même et, avec l’esprit d’aventure et l’imagination de son âge, explore seul les environs. Son univers équivoque, passé au tamis de ses rêves et fantasmes, a quelque chose d’onirique, d’étrange et de merveilleux ; rencontres ambiguës (un instituteur d’une quarantaine d’années aux orientations difficiles à déterminer, une femme au charme fou en qui il aimerait voir mieux qu’une mère de substitution), émois du lent et difficile passage à l’âge adulte, balancement angoissant et attirant entre l’enfance et l’adolescence sont décrits par le romancier avec un mélange de naïveté et de perversité, suffisamment singulier et personnel pour qu’on lui épargne la tentante comparaison avec l’Attrape coeur. Un texte impressionniste d’une force poétique tout à fait particulière, révélateur du talent méconnu de Denton Welch.