Syndicate est de ces souvenirs lointains qu’on aurait aimé gardé comme tel. Non pas que Starbreeze, chargé de rajeunir la licence de Bullfrog, commette acte de trahison scénaristique. Du Syndicate originel (1993), jeu de stratégie développé par Peter Molyneux, subsiste la vision, futuriste et désenchantée, d’une victoire écrasante du capitalisme sauvage sur les sociétés, autorisant les grands conglomérats financiers à se faire la guerre via syndicats du crime. De cette parabole néo-mafieuse naissait à l’époque un joyeux défouloir qui, malgré d’excellentes suites, retomba vite dans l’anonymat. Depuis vingt ans, quelques crises financières se sont succédées, et Syndicate revient, plus sentencieux que jamais. Finis les contes SF, l’imagerie cyberpunk et ses rues crapoteuses aux néons violacés, place aux architectures aériennes et aseptisées, aux bains de lumière et lens flare des nouvelles Metropolis (dont le dernier Deus Ex s’est fait également la pythie décoratrice). Le transhumanisme de ses êtres augmentés ne sert plus l’excentricité d’un background, mais la vision flippée d’une logique fatidique des choses. Les implants cybernétiques ne sont plus des gadgets, mais des ressources tactiques (pousser un ennemi au suicide, en faire son pantin, etc.). Là où les premiers Syndicate lorgnaient vers la sauvagerie anar en mobilier urbain (Syndicate wars exploitait même les premières joies de destructibilité totale des décors 3D), celui-ci prend l’air du temps et remet les pendules à l’heure : la guerre des syndicats, c’est pour demain et c’est du sérieux. A coups d’affectations dramatiques, l’ascèse dépressive a pris le pas sur le délire chaotique. Pas sûr qu’on ait gagné au change.

Car Syndicate est devenu un FPS, ce qui n’a rien d’un hasard. Ce passage, opportuniste, de la 3e à la 1ère personne orchestre son lot de bouleversements et de dommages collatéraux. Spectacle monté sur rail, le jeu n’a plus le temps de faire dans la récréation gratuite, il est minuté, réglé par la quantité industrielle de micro-événements cinématiques, en émulation appliquée des nouveaux patterns du genre. Plus qu’un mauvais jeu, Syndicate devient symptôme à lui seul. Sa vision subjective, excentricité mimant un flux neuronal optique avec incrustes informatives sur l’environnement (type catalogage Ikea), avait de quoi séduire, par son racolage malin de nos rêves cinéphiles (voir comme un Terminator). Mais elle dessine, in fine, la perspective maladive d’un genre. Celle d’une toute puissance de l’épate subjective, étalant crânement son écran de fumée automatisé pour excuser la linéarité occulte d’un gameplay. Celle d’un écrasement du regard par la quantité pour combler un manque sévère d’interactivité avec son monde simulacre, dont l’élégance méritait mieux qu’une enfilade de clichés de mise en scène. A ce compte-là, Syndicate gagne haut la main son pari : jamais aucun jeu n’aura rendu l’anesthésie sensitive de l’être-cyborg aussi tangible. Mais le chaos, lui, n’a jamais été aussi triste.