Mahamat Saleh-Haroun (lire notre entretien) pouvait-il faire mieux que Daratt ? La question, posée ici et là, renvoie au souci assez vain de mettre en compétition les films d’un cinéaste dont il s’agirait d’établir le bilan de santé. Pour le coup, Un Homme qui crie présente les mêmes symptômes que ses aînés : même rythme, même ambiance cloitrée, mêmes thématiques. Soit un grand hôtel d’ N’Djaména, siège du tourisme international, où un père et son fils travaillent comme maîtres nageurs. Suite au rachat de l’hôtel, la direction décide de rétrograder le patriarche comme garde-barrière du parking, et de confier la responsabilité de la piscine au fils. La guerre civile, qui éclate alors au Tchad, exacerbera la jalousie du père, prêt à tout pour réparer cette déchéance sociale.

Les déçus du film s’attendaient peut-être à une prolongation de Daratt, à un nouveau western lo-fi au Tchad, à d’autres histoires de vengeance contre les bourreaux de guerre. Il n’en est rien, ou presque. L’ascétisme aigu dont fait preuve cette fable peut rebuter, tout comme son manichéisme apparent. Certes, les symboles explicites (le héros nommé Adam, la parabole d’Abraham comme toile de fond), les personnages réduits à l’état de silhouettes mutiques, pourraient entrainer l’élégance du trait vers le snobisme, ou pire : vers la stase gavée d’aise. Or, sous l’impression fausse d’un classicisme autiste, le résultat se révèle une expérience sensorielle assez troublante. Par la langueur de son rythme, son gout de l’understatement pour l’action, le film contredit la vogue de l’esthétique embedded pour conflit guerrier. Là où Greengrass & Co prônent un dérèglement des sens comme catalyseur d’action, Haroun préfère une forme d’hébétude sourde. Le conflit semble renvoyé à une absurdité beckettienne, où tout sursaut du monde extérieur se voit relégué hors-champ. Raccord avec les décors (l’hôtel et sa piscine comme bulle autarcique), les personnages et la bande-son, cet enfermement psychique balaie rapidement l’austérité de la forme pour donner sens à cette incommunicabilité entre père et fils.

A l’instar de ses prédécesseurs, Un Homme qui crie sonde ce poison filial, vécu ici comme une compétition, dont les règles se voient perverties par le chaos social. Cette marotte semble même avoir gagné en nuance. A mesure que la tragédie progresse, l’ascétisme habituel cède sa place à un lyrisme discret, mais surtout inhabituel chez Haroun. Plutôt que de céder à la démagogie de l’expérience traumatique comme argument d’autorité, Haroun préfère brandir sa mise en scène comme un rempart à tout pathos. Un Homme qui crie pèche peut-être trop par humilité ; il n’en reste pas moins bouleversant.