Avant d’expliquer pourquoi Wall Street 2 est un ratage triste, il faut rappeler brièvement pourquoi le premier était grand, film culte et archive définitive des lointaines eighties : primo, en inventant Gordon Gekko, Oliver Stone a inventé l’acteur Michael Douglas. Il est le premier – le seul ? – à avoir vu que Michael était le fils de Kirk c’est-à-dire une énergie à réveiller les morts, un danseur, un slameur, un acrobate dans le même corps ; secundo, ne jamais oublier que Gekko et Tony Montana (Scarface) sont nés du même cerveau – « Do you Mister Stone ? » – au même moment, et que les deux personnages racontaient à peu près la même histoire : l’américaine success story sur fond d’extrême immoralité anti-WASP ; tertio, que Wall Street est un film culte parce qu’il est un commencement, sa matrice esthétique faisant corps avec l’époque en essayant d’inventer la bande image idéale pour montrer les années 1980 dans leur violence, leur innocence et leur vulgarité assumées : Oliver Stone a été le meilleur cinéaste de ce chromo naïf et haut en couleur.

Wall Street, l’argent ne dort jamais n’a rien gardé de cette force-là. Ceux qui attendaient le come-back de Gekko, comme un diable sortant de prison risquent d’être déçus. A part dans le trailer efficace qui a fait saliver les fans – un maton rendant en les listant les effets personnels du requin de la finance au moment de sa sortie de prison, de loin le meilleur du film, les cinq premires minutes – le scénario de ce nouvel opus délaisse largement la bête pour courir beaucoup d’autres lièvres pour notre plus grand ennui. On insiste sur l’inconsistance et le peu de crédibilité de ce come-back parce qu’il signe la faiblesse premire du film : notre méchant n’a pas seulement vieilli, il est comme sorti du récit, devenu un coach à la retraite se contentant de commenter de loin et de conseiller façon père Fouras les tribulations sentimentalo-économiques du jeune boursicoteur pseudo-fougueux (Shia Lebeouf) qui a un double projet : épouser sa fille et se venger d’un businessman (Josh Brolin, le nouveau méchant) qui a poussé au suicide son mentor. Très vite, Stone s’emmêle dans cette pelote d’intrigues et surtout, il ne sait pas trop quoi faire de son Gekko / Douglas : au début du film, c’est un Al Gore conférant sur la crise financière, au milieu, un père affligé qui veut regagner l’amour de sa fille, puis – retournement b‰clé à un quart d’heure de la fin – retour sur le Gekko première manière, cigare, bretelles classe et costume italien. Le sommet de la paresse est atteint dans la scène déjà culte dite du Gordon Echo où le gendre montre une échographie du futur petit-fils et propose le dernier deal : des dollars contre un bébé. Mais où vont-ils chercher tout cela ?

Sans la présence forte de Gekko, que raconte Wall Street 2 ? Principalement, une bluette sentimentale. Le conflit extraordinaire qui déchirait Charlie Sheen/Bud Fox entre son père biologique – le working class hero – et son père en affaires au centre du premier film, est ici remplacé par une histoire de couple peu convaincante : la fille de Gekko déteste son père et travaille sur un site web gauchiste à petite audience pour dénoncer les méfaits du capitalisme ; son amant bosse à Wall Street mais il croit à des valeurs nobles et veut investir dans la bulle de l’avenir : l’économie verte et l’énergie renouvelable. Sur ce canevas très civique se greffe une pénible leon de choses sur la crise économique mondiale des années 2000 sur laquelle les hommes d’affaires se sont beaucoup sucrés. C’est que l’actualité est passée par là et que le cinéaste s’impose, et nous impose, de la commenter. Dans cette dimension didactique très brouillonne, le film atteint son pire, multipliant des clips explicatifs hideux sur la crise des subprimes avec schéma d’analyse et danse interminable d’hologrammes et de graphiques à la Bloomberg TV. Le Stone historique de JFK et Nixon reconstitue mme quelques conseils d’administration cruciaux faon archives pour demain avec enjeux lourds à la clé – l’Etat doit-il sauver les banques ? – mais le pensum finit par décourager les plus sérieux lecteurs d’Alternatives économiques. Soudain, on a envie de sécher le cours d’éco-gestion et de relouer le premier Wall Street en DVD.

Une séquence est particulièrement douloureuse parce qu’elle est emblématique des années-lumières de cinéma qui sépare les deux films. Dans une soirée, Gordon Gekko croise Bud Fox. Douglas joue la surprise comme si cette histoire était loin maintenant, à peine se souvenait-il de son nom. Quand à Charlie Sheen, on a carrément le sentiment qu’il a oublié son rôle. Il balance sans y croire quelques répliques sur ce qu’il est devenu. Rien ne fait lien entre les deux personnages, comme si une mémoire s’était effacée. Il y a à ce moment un effet Expendables qui rend triste. Décidément, les années 1980 ne sont plus ce qu’elles étaient.