Plutôt que l’exercice assez périlleux de la biographie filmée, souvent longuette et rarement réussie, Jacquot et son scénariste Jacques Fieschi ont choisi de resserrer l’action de Sade sur une courte période et dans un lieu (presque) unique. La Terreur fait rage durant l’été 1794, et le marquis de Sade, reconnu ennemi de la Nation, passe de Saint-Lazare au couvent de Picpus, sorte de prison de luxe où quelques nobles attendent la sentence du comité de salut public. Sade a alors cinquante ans, et il est persécuté comme auteur d’écrits jugés scandaleux. Même en prison, il continue d’écrire et de scandaliser, clamant haut et fort ses opinions athées, son refus de toute transcendance, alors que l’Etre suprême et le déisme révolutionnaire de Robespierre font autorité. Libre, frondeur, tirant parti de toutes les situations et prompt à s’inventer toujours de nouveaux désirs (est-ce là le véritable libertinage ?), Sade est prêt à braver tous les puritanismes, celui des nobles comme des révolutionnaires. Mais sa dureté et son intransigeance s’émoussent lorsqu’il rencontre le jeune Emilie de Lancris, fille d’un noble déchu réfugié à Picpus.

Le film aborde alors de front les problèmes idéologiques, d’une manière que d’aucuns jugeront (à juste titre) trop rêche et théorique. On apprécie néanmoins l’effort du cinéaste pour incarner ce débat d’idées dans les physionomies autant que dans le discours, suivant l’adage cité par Sade lui-même, qui avoue ne pas savoir bien la différence « entre la tête et le reste du corps ». Les propos parfois maladroitement paraphrasés du « divin marquis » restent tout de même la vraie substance du film, sans doute trop prisonnier du verbe et présentant peu de relief dramatique (malgré les bonnes idées du scénario). La relation de Sade à Emilie, jeune fille fascinée par le libertin, séduite par ce personnage plus humain qu’il ne le croit lui-même, en est une, par exemple. Mais les rares moments intenses entre Auteuil -un acteur devenu très intéressant- et sa talentueuse partenaire Isild Lebesco ne font pas oublier les lacunes de la mise en scène. Jacquot filme près du corps, conservant toujours le même régime de plan, suivant les acteurs caméra à l’épaule. Ces partis pris souvent commodes font qu’il peine à trouver une forme qui lui soit propre. Malgré une photo très soignée de Benoît Delhomme (le chef-opérateur de L’Odeur de la papaye verte), il manque à Sade un style visuel et une certaine vigueur cinématographique.

On aurait tort de sous-estimer ces questions de forme, car si le film nous laisse sur notre faim, c’est parce qu’un point de vue d’ensemble, cohérent, est difficile à appréhender. La reconstitution reste sommaire (une grossière intervention de Robespierre, quelques tableaux macabres évoquant la violence ambiante, mais pas de visions fortes), trop de scènes sont répétitives, ou constituant des à-côtés dont on perçoit mal l’utilité ou la portée historique. Exemple : ces portraits bâclés que sont les personnages de Jeanne Balibar et de Jean-Pierre Cassel. En revanche, Grégoire Colin en sbire de Robespierre, d’une violence impulsive et asexuée, incarne bien l’opposé du marquis libertin, tandis que Marianne Denicourt convainc en maîtresse dévouée dont Sade serait le bienfaiteur secret et inattendu. Dans l’ensemble, Sade finit tout de même par trouver son rythme, porté par un réel suspense et par l’émotion que dégagent les acteurs. Celle-ci culmine dans la séquence montrant l’ultime confrontation du marquis avec ses vices ; il est alors marqué par l’angoisse de détruire Emilie, la seule qui ait réussi à le faire chanceler. Auteuil est remarquable dans ces dernières scènes. Le film, qui n’est pas passé loin du gâchis, ne lui doit-il pas l’essentiel de sa force et son mystère ?