De Majid Majidi, on se souvient du magnifique Les Enfants du ciel, mais aussi plus récemment du décevant La Couleur du Paradis : à la grâce du premier, la niaiserie du second répondait en miroir, révélant les limites d’un cinéma de l’enfance jouant parfois abusivement de la naïveté de ses sujets. Avec Le Secret de Baran, la chanson se répète : un adolescent de Téhéran tombe amoureux de Rahmat, la jeune fille afghane déguisée en garçon qui travaille sur son chantier, et dont il est le seul à connaître le secret. Encore une chronique de la pauvreté et de l’exclusion sur fond de conte, donc, mais aussi une relative surprise : Le Secret de Baran renoue souvent avec la beauté des Enfants du ciel.

Si la première partie, description de la vie d’un petit chantier, déçoit par son côté un peu artificiel, par le manque de profondeur de ses personnages (le patron paternaliste, les ouvriers réduits à l’état d’ombres), l’arrivée du personnage de Rahmat bouleverse la donne. Le thème du travestissement d’une jeune fille en garçon pour avoir accès au monde du travail et subvenir aux besoins de la famille a été beaucoup abordé ces derniers temps, notamment dans Osama, mais il est ici pris à l’envers : il ne s’agit plus de voir le monde à travers les yeux du personnage travesti (décrier l’archaïsme machiste dans l’Islam) mais de laisser à ce dernier son mystère, bloc d’étrangeté sur lequel butte le héros du film. La fable s’incarne soudainement, et Le Secret de Baran retrouve alors l’énergie et la fougue du chef-d’oeuvre de Majidi.

Chaque scène devient le prétexte à un petit tour de force : gagner du temps, sauver une situation, tenter de se rapprocher de Rahmat. Le récit s’intensifie, virevolte, sans que jamais la rigueur de la description sociale ne lâche du terrain. Transparence et limpidité de la narration, maîtrise des ressources d’une mise en scène toujours en mouvement : il y a là une beauté simple et lumineuse qui laisse loin derrière elle les vieilles breloques du world cinéma dénonciateur à la Makhmalbaf. Malgré quelques effets un peu appuyés, le cinéma de Majidi prend des risques et parvient, dans ses meilleurs instants, à basculer dans la grâce. Exemple rare d’un équilibre trouvé entre l’intimisme et l’épique, la mélancolie et l’enchantement, qui redonne au film iranien sur l’enfance ses lettre de noblesse.