Parmi les répliques ampoulées et les bons mots qui truffent cette ânerie du début à la fin, il en est une qui délimite son horizon étroit et signe le ratage total de ses ambitions. C’est au trois quart du film. Revenant sur les raisons qui l’ont poussé à devenir policier, le personnage interprété par Guillaume Depardieu dit à peu près : « Je voulais être flic pour faire comme dans les films américains et maintenant, je suis flic comme dans les téléfilms français ». Sorti de l’inconscient besogneux du réalisateur-scénariste Jean Veber, la formule de type Audiard, outre sa drôlerie passagère, a le mérite de la clarté : Le Pharmacien de garde souffre infiniment de son admiration pour le thriller US et n’a pour faire son éloge que les instruments mal affûtés des « répliqueurs » de Navarro ou autres Julie Lescaut. Remplacez par « réalisateur » le mot « flic » de la réplique citée et vous obtiendrez la recette de ce mauvais mélange d’apothicaire.

Pour parler du film, il ne faudrait parler que de l’histoire, du scénario. Cela éviterait d’abord de parler du reste, plus que fâcheux. Les comédiens, par exemple, lancés dans cette aventure selon la plus grande improbabilité : Perez en tueur illuminé donne dans le grand fou façon serial killer à l’américaine. Il paie de sa personne -regard qui tue, ton glacial- mais on n’y croit pas trop. On a plutôt envie qu’il joue un pharmacien de garde sans problèmes pour voir son beau sourire de gentil. Le moment où il tue est d’ailleurs tellement grotesque qu’on préfère quand il prescrit. Quant à Depardieu fils en flic dépressif, c’est toujours sympathique, mais on finit par se lasser, surtout quand ses collègues et ceux qui l’entourent sont des anciens du Petit théâtre de Bouvard ou Kad et Olivier (l’un ou l’autre, je sais plus). Parler de l’histoire, cela empêcherait aussi de parler de la forme du film, plutôt laide ; comme ce sidérant vol de coccinelles tueuses dans Paris qui fait déjà date chez les dandys du kitsch. Enfin, retenez au moins un nom, si vous ne le connaissez déjà : Marco Prince. Comme son nom l’indique, c’est le musicien de l’affaire. Sa composition (disponible en CD ?) n’est pas le moindre mal qu’il faut supporter pendant l’heure trente de projection.

Parlons du scénario donc. C’est un croisement de Seven et d’Inspecteur la bavure mâtiné d’un souci écologiste très tendance (le film s’ouvre sur les conséquences mazouteuses du naufrage de l’Erika sur fond de Charles Trénet). De Seven, le film prend l’idée du tueur à projet : ici, il ne s’agit plus d’illustrer les sept péchés capitaux, mais de nettoyer la surface de la terre de ceux et celles qui la salissent : grands fumeurs, cosméticiens, etc. Ce n’est pas dans un livre de Dante que l’assassin a trouvé son idée, mais dans les cours de celtisme avancé que lui donna naguère un vieux prof sage et breton. Le mauvais fond de Lazarrec, il le doit à cette multiséculaire histoire de druides et de potions magiques qui est aussi caricaturale que pénible à entendre (la région Bretagne rêverait d’un meilleur dépliant touristique !). C’est dans ce fond Seven, grotesque alignement d’une histoire archi-française à une norme hollywoodienne que le film de Veber tire sa petite originalité. Le problème, c’est que le naturel téléfilm français reprend vite le dessus. Le film emprunte aussi à Inspecteur la bavure, les flics manchots et incapables, leurs grossièretés de bureau mais surtout l’association flic et tueur puisque c’est la relation entre Depardieu et Perez (ignorée par l’un, jubilatoire pour l’autre) qui permet d’emballer le tout. Sauf que cette relation n’amène qu’à de banales considérations sur la protection de la terre et à une confrontation finale très prévisible, sur le thème : « Tu me tues, tu me fais du bien ». Inspecteur la bavure, quel chef-d’oeuvre !