Qu’est-ce qu’un nain ? On ne sait plus. Tous ceux du Hobbit mesurent deux mètres. Joués par des acteurs non-nains, il leur faut un troll ou un elfe à proximité pour nous rappeler qu’ils sont petits. Mais les trolls étant des géants, et les elfes connus pour dépasser tout le monde d’une tête, la comparaison est vite biaisée. De même, nous disons des nains parce que tout le monde dit qu’ils sont treize, mais on les soupçonne d’être beaucoup moins que ça. Fili, Dori, Nori, Ori, Kili, Balin, Gloin, etc., etc., Ouin-Ouin et les autres, on les confond tous. C’est à une exception près (et encore) treize fois le même caractère, treize fois la même humeur, treize fois le même nom. On voit bien comment ces figurines prolifèrent et se boursouflent autour d’une absence, d’un vide. Si Peter Jackson ne prend jamais le temps de les filmer, c’est d’une part qu’ils n’existent pas, et d’autre part qu’ils servent surtout à produire un effet de foisonnement et d’opulence, tout autour du nain zéro.

 

Est-ce d’ailleurs un hasard si les trois heures que dure le film en paraissent, en réalité, beaucoup plus ? Cinq, peut-être six ? Et qu’il en était de même pour Le Seigneur des anneaux ? Il semble précisément manquer au Hobbit, comme aux précédents films de Jackson, un mètre étalon, une quelconque unité de mesure. C’est la démesure dans ce que le sens hollywoodien du terme peut avoir de plus problématique, de plus malade. Un envol de chiffres, pour rien. On dirait que le film, ayant peur d’être petit, épuise ses forces à avoir l’air grand. Il faut dire que Le Hobbit souffre terriblement de faire d’ores et déjà partir d’une saga (ce n’est, rappelons-le, que le début d’une trilogie). Chaque plan est hanté par le fantôme de sa répétition, de sa duplication – expliquons vite, pour ceux qui ne le sauraient pas, que Le Hobbit se situe dans le même univers que Le Seigneur des anneaux, dans les mêmes décors, avec les mêmes personnages. Le tout filmé exactement pareil. On dirait qu’on a déjà tout vu, et qu’on va tout revoir encore et encore. Le Hobbit dure ce qu’il dure, plus ce que dure Le Seigneur des anneaux, ses suites et ses versions longues, sans compter ce que dureront les Hobbit à venir et leurs très probables director’s cut. C’est-à-dire une éternité. Et que raconte cette éternité ? Les treize nains, accompagnés de Bilbon le Hobbit et de Gandalf, se mettent en route pour délivrer leur royaume d’un immense dragon. Quête semée d’embûches diverses et d’affrontements annexes. Du grand luxe, partout.

 

Ce qui frappe devant Le Hobbit, c’est la proportion exacte entre l’énormité du faste et l’énormité du vide. Et il n’est pas interdit de voir cet immense dragon numérique endormi sous des monceaux de pièces d’or, comme un possible résumé du film : une dépense en pure perte, du vide monstrueux recouvert de sous. Et pas seulement de sous, mais aussi de mots – le film est extrêmement bavard. Que se dit-on dans Le Hobbit ? Essentiellement des choses comme « Voici Thorin, dit Ecu-de-Chêne, grand vainqueur des Orques des Monts Brumeux, exilé du dernier royaume Nain de la Terre du Milieu ». A la fin de la phrase, on a oublié Thorin. Tout le film ressemble à cette phrase.