Gestes interrompus, paroles suspendues aux lèvres des personnages, scènes inachevées, L’Arbre aux cerises se distingue par sa fragmentation. Un collage de micro-événements dont le support est une vallée isolée du Sud de l’Espagne traversée par les vents. Cette composition, loin d’être fixe et figée, se voit modifiée au gré des sensations apportées par les éléments naturels (le bruissement des feuilles d’un arbre, des gouttes de pluie tombant sur les rochers). Tel un kaléidoscope où une infime rotation suffit à transformer l’ensemble de sa structure, l’apparition d’un personnage dans le paysage, le souffle du vent traversant les montagnes changent constamment notre perception du lieu.

De la douzaine de personnages présentés, on ne saura pas grand chose. Tout au plus que Marti (Jordi Dauder) est un médecin vieillissant qui cache son cancer à son amie ou encore qu’Andreu (Pere Ponce), son successeur, est venu s’enterrer à la campagne à cause d’un chagrin d’amour. Peu importe, de ce minimalisme informatif ressort, malgré tout, une vision quasi documentaire du monde rural. Grâce à une réalisation morcelée qui multiplie les personnages et les lieux, Marc Recha réussit à nous transmettre l’univers d’une vallée entière. Il est donc bien regrettable que l’autre pan du film -sa conception panthéiste de la nature- soit beaucoup moins convaincant. Difficile de ne pas être rapidement irrité face à cet arbre aux cerises, symbole de vie, cette eau qui « sait tout », ces rochers qui sont « des hommes qui nous regardent et qui n’arrêtent jamais de nous regarder ». D’autant plus que cette vision nous est transmise par la voix off d’un enfant ; son regard naïf étant censé traduire la fascination que l’on peut éprouver pour la nature. L’envoûtement recherché ne se produit pas, l’agacement, par contre, oui.
Malgré tout, Marc Recha réalise là un film extrêmement personnel, exigeant. Ce qui à l’ère du sur-expliqué, du sur-signifié, est déjà une réussite en soi.