C’est un peu moins qu’un film : ce devait être à l’origine quelque chose de plus court et confidentiel, la réponse à l’invitation lancée chaque année à trois cinéastes par le théâtre de Gennevilliers de tourner, sur place, un court métrage voué à être présenté au festival de Locarno. Honoré a saisi l’occasion pour tirer, de ce matériau ramené du 92, le (pas très) long métrage que voici, confirmant une cadence (un film par an) qu’on rêverait moins acharnée. À Gennevilliers, il a filmé François Sagat, star du porno gay fraichement courtisée par le cinéma d’auteur (on l’a vu cet été dans le dernier Bruce laBruce, L.A. Zombie, à Locarno justement), dans une suite de saynètes sises dans un décor de HLM utopique où s’épanouiraient sans mal les amours homos de cailleras tendres et de minets moustachus. A cette proposition se mêlent des images ramenées par Honoré de la tournée promo newyorkaise de Non, ma fille tu n’iras pas danser, reconfigurées en matériau de fiction – derrière la DV, ce n’est pas Honoré mais, nous dit-on, l’amant du personnage de Sagat, lequel depuis son studio de Gennevilliers mène une brillante carrière de cinéaste qui lui vaut d’animer avec Chiara Mastroianni une master class pour les étudiants de la NYU. Autant dire qu’il faut avoir envie d’y croire – et à ce ridicule, l’excuse de l’utopie ne peut pas grand chose.

D’une manière générale, la ficelle narrative avec laquelle Honoré emballe les deux moitiés du film (la rupture douloureuse entre Sagat et le cinéaste à moustache : impossible d’y croire une seconde) est grotesque et pas moins inepte que ce qui tenait lieu de récit à ses précédents films. Quitte à dessiner une proposition arbitraire, on se demande surtout pourquoi Honoré n’a pas assumé la part de home movie des séquences new-yorkaises, pourquoi il a inventé ce personnage absurde derrière lequel il se cache. Christophe Honoré en cinéaste : visiblement, lui-même n’y croit pas.

Pourtant le film, dans sa partie Gennevilliers, n’est pas totalement inintéressant, et précisément Honoré n’a peut-être jamais été autant cinéaste qu’ici, entre les murs blêmes où il prend Sagat pour modèle. Avec Sagat, Honoré trouve un vrai sujet, au sens d’un sujet d’étude, et si la référence à Caillebotte est inutilement pompeuse, au moins cerne-t-elle bien la nature des moments qui ici peuvent susciter un peu d’intérêt. Sagat est incontestablement un corps de cinéma, et Honoré le filme, plus ou moins adroitement, au centre exact de son paradoxe, corps de butor contrarié par une douceur enfantine, monstre invraisemblablement délicat. C’est un vrai cadeau pour Honoré, qui n’a plus qu’à filmer tandis que le corps incongru du modèle prend la pose, et cela donne lieu à quelques scènes regardables (un échange entre Sagat et Kate Moran notamment, où la deuxième jalouse les courbes du colosse). Surtout ce sont, pour une fois, des scènes qui sont regardées, c’est la première fois peut-être que la caméra d’Honoré enregistre quelque chose. C’est peu, mais au moins pour ces moments-là, soyons indulgents avec ce tout petit film qui n’est pas grand chose, c’est-à-dire beaucoup plus que les précédents.