Après les X-Men et après Spider-man, avant Hulk et avant The Fantastic Four, voici Daredevil, « DD » pour les intimes, héros sans peur et sans reproche qui, à l’image de ses collègues, hante les nuits new-yorkaises et distribue des taloches aux méchants grâce à ses super-pouvoirs. Que ce surhomme soit déguisé en légume rouge n’est pas le plus vilain de ces défauts. Qu’il soit en tête d’affiche du plus mauvais film de super-héros de ces dernières années est davantage rédhibitoire. D’abord, au vu de ce film, et sans être particulièrement versé dans l’exégèse des comics Marvel, on peut raisonnablement supposer que ce personnage de BD n’est pas la créature la plus fascinante sortie du cerveau de Stan Lee, prolifique géniteur d’une horde de justiciers en cuir dans les années 60. Ensuite, le film lui-même, exécuté par un tâcheron sorti d’on ne sait où, est très bête et très moche.

Daredevil, pour aller vite, c’est d’abord un enfant, Matt, bouleversé de voir son père, boxeur déchu, compromis avec la pègre. Traumatisme. C’est ensuite un enfant accidenté, ayant reçu un demi-bidon d’une potion toxique en travers la poire, qui le fait basculer de l’autre côté du jour, dans les ténèbres -son futur royaume- puisqu’il reste aveugle. Traumatisme encore. C’est enfin une sorte de veinard, puisqu’il apprend à développer ses autres sens, jusqu’à posséder une acuité sensorielle hors du commun. Qui dit capacité au-dessus de la moyenne dit mission à accomplir (on ne renverra pas au Spider-man de Sam Raimi, que la moindre comparaison avec ce navet insulterait) : avocat dans le civil, Matt, faisant le constat de l’impuissance du droit à punir les méchants, devient, dès la nuit tombée, Matt la Menace, alias Daredevil, redresseur de torts en chef. Le film, à ce moment, remue les vieilles odeurs nauséabondes des polars hargneux et fachos des années 70 (la série des Justiciers avec Charles Bronson), avant de bifurquer, une fois cette pulsion ultra-réac’ soulagée, vers une initiation classique, grâce à l’amour, au respect du droit.

On n’ajoutera pas grand-chose à cela, sinon que la séquence d’action la plus spectaculaire reste la scène coucherie façon Feux de l’amour entre Matt et sa copine, avec corps en feu, peau de bête, et cheminée bien alimentée. Il y a tout de même une idée curieuse au coeur du film, une vraie question de cinéma, hélas manipulée avec des moignons et illustrée sans finesse : Matt est un héros aveugle, il ne distingue les choses que via une sorte de radar sensoriel dont la Providence l’a pourvu. Le film choisit de montrer ce qu’il « voit ». Au-delà de l’aspect sexiste de certaines scènes (juste avant la scène d’amour, DD reconstitue le visage de sa promise en écoutant les gouttes de pluie qui l’arrosent, comme pour vérifier qu’elle n’est pas moche), et malgré leur laideur (c’est la version hideuse des Aventures d’un homme invisible de Carpenter), cette idée mérite qu’on s’y arrête : un héros doit-il forcément tout voir ? Quelle est cette dictature du visible ? Que signifie ce volontarisme hollywoodien capable d’imposer, contre nature, la vision à un aveugle ? « J’étais aveugle et maintenant je vois » : Saint-Paul est-il devenu producteur à Hollywood ? Réponse, peut-être, dans Daredevil 2.