Réalisé à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance d’Ozu, Café lumière est un objet assez étrange : la rencontre de HHH avec l’un de ses maîtres à filmer, mais aussi et surtout avec un pays tout entier, le Japon. L’expérience de Hou semble venir achopper ici sur un abîme culturel et social paradoxalement assez proche des univers habituels du cinéaste. L’intrigue, reposant sur l’avenir incertain de Yoko, une jeune femme enceinte décidée à élever seule son enfant, est tenaillée par le doute. Quelques pistes apparaissent (l’enquête sur un compositeur célèbre, l’amour silencieux d’Hajime, étrange personnage fasciné par le bruit des trains) mais n’aboutissent pas.

Café lumière travaille à recueillir traces et sentiments fugitifs plus qu’un discours hâtif sur le Japon contemporain, de la même façon que le dernier film du cinéaste, Millenium mambo, avançait dans les incertitudes de l’adolescence. Aux fluorescences et ambiances techno de ce dernier, sorte de « néon-réalisme » (Nicole Brenez), Café lumière oppose un réalisme évanescent, à ciel ouvert, marqué par les circulations et mouvements hypnotiques des trains, métros et tramways qui fendent la ville. Ce mélange de flottement émotionnel et de maturité dans la puissance des cadres, toujours aussi fort et imposant dans sa virtuosité statique (personne ne filme mieux un arrière-plan vu comme étoffe magique et spectrale), offre à voir un Japon de l’entre-deux, loin de tout folklore, entre universalité (décomposition des familles, angoisse de la perte des repères et mise en échec de la tradition) et inaccessibilité souveraine de la matière à filmer.

A aucun moment le film ne semble forcer la description de ce qui lui échappe, et c’est sa force : cette part d’étrangeté radicale, ce mystère gonflent dans la durée des plans, notamment lors des repas en famille, dévoilant l’incroyable précision du style Hou. Il y a là une humilité, une sagesse, une douceur qui envoûtent et magnétisent plus qu’elles ne cherchent à décrire ou expliquer. Film de topographe halluciné, embarqué dans les mouvements itératifs et tournoyants de la ville, Café lumière refuse ainsi toute profondeur au profit d’une surface si sensible et si pleine qu’elle ouvre mille perspectives passionnantes : tableau en mouvement du Japon, rêve d’un cinéma impressionniste délesté de ses vieilles breloques sociologiques.