La première fiction de Li Yang ne tient lieu ni de réelle découverte -bien qu’il s’agisse d’un cinéaste inconnu réalisateur d’une poignée de documentaires- ni de simple confirmation de l’éveil d’une cinématographie chinoise de contrebande dans le sillage de Jia Zhang-ke, tant il faut désormais tenir pour acquis que le meilleur du cinéma chinois n’est pas à chercher dans la pompe officielle (dont le récent Hero de Zhang Yimou est un avatar typique), mais dans une production clandestine, donc libre. Blind shaft, bien entendu, est une oeuvre clandestine, que les autorités condamnent, tout en laissant circuler des copies à l’étranger et dans les festivals, selon une attitude paradoxale devenue coutumière. Il faut dire que le film de Li Yang n’a rien pour plaire à la censure, puisqu’il prend pour cadre les mines illégales qui pullulent en Chine hors de tout contrôle sanitaire ou social. Le cinéaste, à l’image de ses pairs, part de cette réalité anormale pour en faire une sorte d’arrière-plan sans relief sur lequel glisse son récit, fait frictionner documentaire et fiction, tout en y injectant quelques figures venues d’ailleurs (le film criminel, l’humour noir, le roman initiatique). En cela, il y a chez Li Yang un désir de narration sans doute plus prononcé que chez d’autres, ne serait-ce que par la manière dont le film s’enclenche. Après une scène d’ouverture saisissante -les mineurs se rendent au travail, semblant sortir de terre comme des Golems tremblants dans la brume glaciale du petit matin-, la caméra plonge dans le ventre de la mine pour, pense-t-on, ne plus en sortir, et cueille une discussion entre trois hommes à propos du mal du pays. Mais soudain, apparemment sans raison, l’un d’eux assassine l’autre à coups de pioche.

Blind shaft est un film d’une belle linéarité, au sens où la distribution entre appréhension brute du réel (la mine, que l’impressionnant Mine n°8 de Xiaopeng, présenté cette année au festival Cinéma du réel à Beaubourg, avait su lui aussi capter dans toute sa rêche consistance) et goût de l’échappée fictionnelle se fait, davantage qu’harmonieusement, dans une sereine et dense complémentarité, avançant imbriqués l’un dans l’autre. L’âpreté du filmage, dans sa manière d’extraire des blocs de réel tout en ménageant de secrets espaces pour de brusques poussées de brutalité et de cruauté, demeure toujours poreuse, ouverte à d’autres lumières. Si la violence du contexte et de l’action recouvre le film d’un épais voile grisâtre, les instants volés au travail sont rendus à leur intensité baladine, laissant nécessairement la place à de d’étonnants changements de ton. La formule est galvaudée mais tant pis : Li Yang est bien sûr un nom à retenir.