Les derniers films de Woody Allen (Escrocs mais pas trop, Le Sortilège du scorpion de Jade, Hollywood ending), bien que sympathiques, ressemblaient un peu à des squelettes du grand cinéma du réalisateur : drôles par à-coups, intermittents d’un point de vue scénaristique, sans véritable tenue. La grosse surprise d’Anithing else vient de cette « épaisseur générale » retrouvée : une mise en scène très fluide, un scénario prétexte à toutes les divagations, un Woody Allen comédien, enfin, capable de tenir toute la longueur du film -ce qui n’était plus arrivé depuis Tout le monde dit I love you. Voici donc l’histoire de Jerry (Jason Biggs), un jeune écrivain comique toujours accompagné de son confrère Dobel (Woody Allen), plus âgé, plus expérimenté, et qui le guide, telle une conscience aux allures de diablotin, dans ses choix intimes et professionnels.

L’intrigue, comme dans les meilleurs films du cinéaste, sert de fil conducteur à une multitude d’extrapolations (amoureuses, policières, métaphysiques) qui agissent comme autant de petits sketches jouissifs et instantanés. Un film comme Le Sortilège du scorpion de Jade s’étouffait dans son idée principale -les fameux croisements entre scènes normales et scènes sous hypnose- sans jamais parvenir à en sortir. Ici au contraire, la légèreté du script (Jerry ne peut plus toucher sa femme sans que celle-ci devienne hystérique, Jerry ne sait pas comment larguer son pathétique agent) ouvre sur une narration en roue libre et se refuse à toute pesanteur ou accroche trop systématique. Les parenthèses et les divagations sont le lieu où s’épanouit le plus sûrement le cinéma de Woody Allen : en cela, Anything else est un vrai petit bonheur comme on n’en avait plus vu depuis Maudite Aphrodite ou Nuits de Chine. Ni trop sombre et amer (Harry dans tous ses états) ni trop léger (Escrocs mais pas trop) : un retour à la fantaisie et au pur plaisir de la mise en scène.

Surtout, Anything else apparaît comme le film le plus abouti de l’auteur du point de vue d’un passage de témoin. Les tentatives de transfert (Celebrity) ou d’effacement avaient toutes plus ou moins échoué. Ici, le cinéaste trouve le bon timing : une façon de tenir la longueur du marathon en sachant doser son effort (apparitions soigneusement calibrées, relais parfait avec Jason Biggs, très crédible en Woody junior). Extrêmement touchant d’un point de vue autobiographique, Anything else est un retour de premier ordre. Pas un chef-d’oeuvre, mais un film dont le sens du tissage, de la mesure, de la nuance et du débordement contrôlé impressionnent beaucoup. La maestria : voilà bien ce qui manquait tant aux dernières cuvées de l’une des dernières légendes comiques en activité.