Oubliez le laborieux trailer qui échouait complètement à retranscrire l’atmosphère de ce petit bijou. A l’image de son héros dans la première scène du pilote, plongez la tête la première dans The Affair, sans idées préconçues. Noah, mari comblé et père de quatre enfants, respire l’équilibre. Quand une jolie fille lui fait les yeux doux (séquence inaugurale dans la piscine), il ne l’encourage pas et remet sa bague de mariage en guise de message limpide. Heureux en couple, Monsieur a toujours envie de faire l’amour à Madame, n’importe quand, dès qu’il en trouve le temps entre deux cris des enfants. Comment cet homme à la vie bien rangée va-t-il en arriver à tromper sa femme dans tous les sens du terme (le corps et l’esprit), à bouleverser sa vie et celle de sa famille ? La réponse est racontée sous forme de flashbacks, alternativement par les deux amants interrogés des années plus tard dans le cadre d’une enquête policière. Cet adultère a eu des conséquences dramatiques. On n’en saura pas plus dans le pilote, focalisé sur la rencontre entre Noah et Alison. Au début de l’été, en vacances avec toute sa famille, il entre dans une brasserie. Son regard s’arrête sur une serveuse, qui le lui rend. C’est le coup de foudre instantané. Il ne peut détacher ses yeux de la jeune femme, parcourant son corps plein de promesses, alors même que sa jeune fille commence à étouffer à côté de lui.

C’est une des particularités de cette série grave et sensuelle. Le tragique ne se niche jamais très loin : un des fils de Noah lui fait une mauvaise blague en feignant une pendaison. Plus tard, c’est sa fille qui frôle la mort dans le restaurant. Loin de l’image sexy qu’en a Noah, Alison a perdu un enfant. Toujours en couple avec le père, elle lutte pour effectuer un deuil impossible. Son insondable tristesse contamine toute la série quand à la moitié de l’épisode, le point de vue bascule de Noah à Alison. Un procédé à la Rashomon, qui permet de doubler certaines scènes, qui changent légèrement ou énormément selon qui s’en souvient. Il se rappelle avoir sauvé la vie de sa fille lors de cette scène dans le restaurant, alors qu’Alison pense aussi l’avoir fait. Plus tard, elle se dévêtit entièrement sous les yeux de Noah et l’invite du regard à la suivre sous une douche. Le même moment vu par Alison est très différent. Tout est question de perspective nous dit la série. Chacun possède sa vérité. L’exercice de style, passionnant, aurait pu briser l’atmosphère de la série. Il n’en est rien. La caméra en mouvement, parfois tremblante, suit au plus près les élans du cœur de Alison et Noah. Les plans naturalistes dans lesquels baignent les personnages sont d’une beauté envoûtante, en particulier ceux qui mettent en scène l’océan. Elément menaçant, enveloppant ou déchaîné, il semble absorber les états d’âme des futurs amants. Le motif de l’eau, omniprésent dans le pilote (la piscine, la douche, la mer), évoque à la fois la destruction à venir, un certain apaisement, mais aussi l’aspect sacré de cet amour purificateur, qui aidera peut-être Alison à guérir de la mort de son fils.

Dans la peau de Noah et d’Alison, Dominic West et Ruth Wilson respirent d’une sensualité affolante. Rien de surprenant pour ceux qui ont vu les deux acteurs respectivement dans The Hour ou Luther; le petit miracle tient à leur parfaite alchimie. Ils ne se sont pas encore touchés, mais leurs regards et leur langage corporel prédisent l’explosion à venir. Les deux autres époux, forcément plus en retrait mais pas inexistants, sont incarnés avec justesse par Maura Tierney et Joshua Jackson. De l’interprétation sans fausse note à l’écriture subtile, en passant par une mise en scène inspirée, ce pilote prometteur ne souffre quasiment d’aucun défaut. Il est maîtrisé de bout en bout par Sarah Treem et Hagai Levi (scénaristes sur En analyse) jusqu’à son sublime générique, pour lequel Fiona Apple a composé le thème Container. On ne demande qu’une chose : continuer à s’immerger plus profondément dans cette histoire belle et déchirante. Sink back into the ocean.