Créée pour diffuser ce que le monde de l’animation avait de trop osé, controversé et déviant pour sa chaîne mère Cartoon Network, Adult Swim est depuis une dizaine d’années la zone démilitarisée où se retrouvent les amateurs d’animes à qui Disney, Dreamworks et compagnie ne s’adressent plus depuis bien longtemps. Foyer des géniales Venture Bros, Aqua Teen Hunger Force, Moral Orel, Robot Chicken, The Boondocks et de l’adaptation animée de Black Dynamite, Adult Swim, chaîne unique en son genre, est aussi le foyer d’une pépite de surréalisme et d’ultraviolence : Superjail !. Confidentielle, cette série qui conte le quotidien d’une prison digne d’un cauchemar délirant de Willy Wonka gagne à être connue. Située dans un volcan inactif se trouvant lui-même dans un volcan encore en activité, la super prison accueille les pires criminels de l’univers: des robots tueurs, des mutants et même des dieux antiques, tous réunis pour mieux s’écharper.

Dans Superjail !, point de profondeur scénaristique à rechercher, les scripts ne sont que des prétextes à mettre en scène avec une maestria technique ahurissante les délires les plus proches de ce que des stupéfiants pourraient offrir. Pourtant, dans ce maëlstrom de folie et de photogrammes tous plus outranciers les uns que les autres réside une structure rodée et maîtrisée à la perfection annulant toute velléité de classer Superjail ! dans la case des créations puériles et vaines. Ses auteurs maîtrisent en effet leurs références picturales, de Dali à Hyeronimus Bosch pour les tableaux dantesques d’ultra-violence composant parfois jusqu’à la moitié de chaque épisode, et les passent à la moulinette d’un mauvais esprit total. Ils peuvent par exemple ouvrir un épisode sur le personnage de Jack Knife, représentant le taulard lambda, prêt à s’adonner à la nécrophilie avant d’être appréhendé par Jailbot, le robot maton surpuissant, le ramenant à Superjail ! Chaque épisode débute sur une situation de ce type et sert d’avertissement au spectateur : la suite sera du même tonneau, notre esprit est malade, nous sommes insensibilisés à la violence et à tout ce que la morale réprouve et si vous n’êtes pas de notre trempe, vous avez encore le temps du générique pour passer à autre chose parce que nous allons passer aux choses sérieuses. Choses sérieuses se traduisant généralement par un certain soin apporté au développement des personnages à travers un délire du Directeur poussant son sadisme envers les prisonniers dans ses derniers retranchements au grand dam de Jared, administrateur de la prison et victime professionnelle et d’Alice, gardienne transsexuelle bodybuildée dont le Directeur est amoureux. Le portrait de ces personnages complètement sadiques et en demande de massacres, catastrophés par une telle déliquescence morale ou témoins insensibles de tout cela, est plus fin qu’il n’y paraît, et y voir un reflet des créateurs voire des différents publics de la série ne serait pas si tiré par les cheveux que cela. D’où ce questionnement : pourquoi diable regarde-t-on cela et pourquoi y revient-on chaque semaine ? Chacun apportera sa propre réponse.

Cette quatrième saison déroge à la routine de la structure bien établie. Les intros avec Jack Knife et Jailbot suivi du mythique générique sur fond de Comin’ Home par le groupe Cheezeburger disparaissent et laissent une plus grande place à un déferlement de violence et d’excès en tous genres. Le mauvais goût et l’inclination à la provoc’ la plus gratuite sont assumés jusque dans des dialogues et des situations à faire frémir les tenants de la bien pensance actuelle. Il faut voir un groupe de prisonniers s’apprêter à violer Alice, se raviser et partir dans un hourra festif quand leur leader leur dit qu’il y a encore plus de monde à violer à l’extérieur (et tout un tas de micro-séquences du même acabit) pour réaliser que l’on n’a jamais vu ça à la télévision. Rarement créateurs et animateurs auront à ce point maîtrisé leur art et semblé demander à être libérés du carcan des 25 images par seconde de la vidéo pour jouir d’une liberté d’expression encore plus totale.

Après quatre saisons ayant repoussé les limites de la bienséance pour plonger dans l’étalage de déviances et de violence gratuite les plus totales, l’énergie communicative reste la même et l’envie de repousser les limites (mais y en a-t-il vraiment?) du médium animé semble décuplée à chaque livraison. Admettons-le : un shot de Superjail ! de temps en temps (soit tous les deux ou trois ans au rythme où sont livrées les saisons), ça fait beaucoup de bien.