“C’est en train d’arriver. C’est en train d’arriver. C’est en train d’arriver”. A la fin du pilote de Mr Robot, son héros toxicomane, manipulateur et paranoïaque lève les bras en signe de victoire en plein Times Square tandis que ses iconiques écrans géants diffusent l’arrestation d’un ponte de la finance. Au spectateur de se frotter les yeux, perplexe, incrédule. Mais qu’est-ce que je viens de regarder ?! Est-ce vraiment arrivé ? En guise de réponse, Elliot s’adresse directement à lui “Tu as vu ça ?”. Sans ambiguité sur son message, la nouvelle série de USA Network fait figure de superbe anomalie idéologique au catalogue de la chaîne. Son personnage central, Elliot Alderson, mène une double vie. Employé discret d’une société de protection des données, Allsafe, il pirate aussi sans scrupule, avec un sens de la justice très personnel son (maigre) entourage et quiconque déroge à ses valeurs morales. Un jour, le mystérieux Mister Robot l’invite à rejoindre un groupe d’hacktivistes, FSociety, rêvant du grand soir et de l’effondrement du capitalisme. Déchiré entre le désir d’intégrer une vie normale et un dégoût viscéral de la société libérale connectée, Elliot se retrouve au pied du mur.

Pour introduire un personnage aussi renfermé qu’inquiétant, la première grande idée de Sam Esmail, créateur de cette fiction moderne et transgressive, consiste à le laisser s’exprimer par une voix off très similaire (dans sa fonction) à celle de Dexter Morgan. Au monologue “Tonight’s the night” qui en 3 minutes cruciales liait le spectateur dans un pacte moral (de mise à distance) avec le boucher de Miami bay, arrive ici, comme en écho, un “Hello Friend” ironique, apathique et parano. Si ses conflits internes lâchés d’une voix lasse permettent de l’humaniser dans des situations parfois limites, ils servent également d’agenda secret à une colère impossible à négocier. “Qu’est-ce qui vous dérange dans la société, Elliot ?” demande sa psychanalyste (dont il entend secrêtement  protéger la vie personnelle en piratant ses emails – sic). “Nous prenons Steve Jobs pour un grand homme, en sachant qu’il faisait des millions sur le dos du travail des enfants. Nos héros sont des imposteurs. La vie elle-même n’est plus qu’un canular à spammer, accompagné de nos commentaires de merde. Nos gouvernants démocratiques serrent la main des dictateurs et Hunger Games ne nous rendra pas plus heureux”. Voilà ce qui submerge son esprit quand de sa bouche ne sort pour toute réponse que “Rien, tout va bien”.

Loin de simplement singer la solitude post moderne préliminaire d’un Fight Club, Sam Esmail lui donne des directions inédites autant qu’il l’habille d’un langage visuel singulier. Pas de green screen ou dispositif grossier à base de gros bouton rouge marqué “delete” dans l’exposition des hacking de ses cybers intrigues. Chaque interface graphique semble fonctionnelle, logique et compléte. Pour accompagner la paranoïa d’Elliot, la photographie élégante et sombre, introduit dans le cadre – en clando – affiches et messages de propagande comme autant de signes ambivalent sur l’état du monde en dialogue avec la psyché du protagoniste. Et là où l’on s’attendait à une bande son carrée electro-trap-dubstep, un subtil contre-emploi musical parachève de soutenir la succession des péripéties, parfois jusqu’à une forme burlesque pas si éloignée de celle employée par Stanley Kubrick dans Orange Mécanique.

Militante et dark, Mr Robot n’est pas pour autant totalement dénuée d’humour. Il s’exprime vachard, sardonique par la voix d’une galerie de personnages vraisemblables et hauts en couleur. Outre l’interprétation parfaite de Rami Maleck dans le rôle d’Elliot, on retiendra surtout la fulgurance du personnage de Tyrell Wellick, jeune cadre carnassier, incarnation terrifiante et tendue du robot corporate. Fils spirituel de Patrick Bateman sur Instagram. Et ce n’est sans doute pas un hasard si les premiers épisodes de la série d’USA network nous évoque la grisaille morale 90’s, très premier degré donc, d’un Fight Club ou d’un American Psycho. Si Sam Esmail dit s’être inspiré de l’usage des réseaux sociaux par la jeunesse égyptienne pendant le printemps arabe ou qu’il scénarise un pendant au Sony leaks par les hacker nord coréens, c’est bien le récit de la mise en mouvement d’un idéalisme pur dont il est question ici. De la dissonance cognitive (et ses dégats névrotiques) induite par une place absurde dans une société inique à un passage à l’acte politique et dissident. Déjà renouvelée pour une deuxième saison, il nous tarde de voir jusqu’où Mr Robot ira dans sa critique du capitalisme et son appel aux armes au terme de ces 10 épisodes. A la vue des trois premiers, au risque de contredire l’hymne de Gill Scott Heron, la révolution sera peut-être télévisée.

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