Un des rares cinéastes à avoir dépeint l’espionnage made in France, Éric Rochant utilise cette fois la petite lucarne pour évoquer ces âmes qui oeuvrent pour la sécurité de leur prochain. Mais à l’image des Patriotes et de Möbius, rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît. Les hommes de l’ombre restent avant tout des êtres humains avec leurs doutes et leurs faiblesses, mais aussi des valeurs fortes qui peuvent mettre en péril leur vie ainsi que celles de leurs collègues et de leurs proches.

 Nous voici dans Le Bureau des Légendes, le département en charge des “clandestins”, les agents les plus secrets de l’intelligence française. Guillaume Debailly est un de ces fameux clandestins  et après une longue mission en Syrie, rentre en France afin de retrouver sa véritable identité. Pourtant, quelque chose a changé en lui et la disparition de son “double” ne sera pas aussi aisée que prévu.

Soyons transparent: Mathieu Kassovitz est parfait dans le rôle de cet agent et prouve une fois de plus – s’il en était besoin – qu’il est le meilleur acteur français à l’heure actuelle. Un jeu d’une justesse impressionnante où la réflexion se conjugue à l’instinct. L’ensemble du casting ne peut que le suivre, comme aimanté vers le haut. On sent un investissement sérieux dans l’interprétation de chaque rôle, mais il n’y a rien de miraculeux, le texte qui leur est donné est tout simplement soigné et empreint de respect.

Car si Éric Rochant a su modeler sa série comme il l’entendait, c’est par le biais d’une recette assumée: celle du travail de groupe, les fameuses writing rooms à l’américaine que la plupart des productions mondiales ont déjà repris à leur compte. Le travail de recherche est minutieux et le téléspectateur ne se posera pas la question de la véracité tant l’immersion dans cet univers codé est facilité dès les premières minutes du pilote.

Rochant revendique l’influence de Mad Men et The West Wing; on ressent cette ambition à travers le soin dédié à la caractérisation des personnages et au développement d’une intrigue qui ose prendre son temps.  Là où les séries du genre lanceraient des arches à un rythme effréné sans souci de réalisme ni même d’une quelconque cohérence narrative, Le Bureau des Légendes a clairement choisi de prendre cette tendance à contre-pied. L’espionnage à l’écran n’a jamais été aussi bon que lorsqu’il sait prendre son temps.

Si l’intrigue principale se concentre sur le retour de Guillaume “Malotru” Debailly (les légendes ont toute un nom de code inspiré par les … injures du Capitaine Haddock) où le professionnel et le personnel se confondent dangereusement, les autres arches ne sont pas en reste. Sans verser dans une facilité didactique, l’exposition de la construction d’une légende à travers le personnage de Sara Giraudeau est fascinante. Le personnage est modelé sous les yeux du spectateur et sa progression est un exemple du travail méticuleux opéré sur la caractérisation. À ce titre, chaque personnage est identifiable très rapidement et sa “fonction” assimilable aisément. Dès lors, le déroulé de l’intrigue n’a plus à définir le rôle de chacun et les enjeux des scènes deviennent la seule priorité. Et l’importance du personnage ne se limite pas à sa présence à l’écran mais à son apport au récit. En cela, les seconds rôles ne servent jamais de faire-valoir et démontrent la nécessité de ne négliger aucun détail, dans le dialogue ou même par une simple présence dans le cadre.

Que l’on se rassure, on ne s’ennuie jamais – d’aucuns diront qu’il ne se passe pas grand chose, mais il n’en est rien. On pourrait même ranger l’oeuvre aux côtés des classiques du cinéma paranoïaque des années 70. Les différentes intrigues sont traitées avec parcimonie et comme le travail paie, l’attente est – elle – récompensée. Il ne fait aucun doute que ce choix de prendre son temps ne masque aucune lacune narrative mais, au contraire, témoigne de l’envie de rendre une partition maîtrisée. La série étant déjà renouvelée pour une nouvelle saison, il est évident qu’un plan d’ensemble a été mûrement réfléchi par les auteurs sur plusieurs saisons. Canal+ a d’ailleurs fait savoir que Le Bureau des Légendes serait de manière régulière à l’écran (comprendre un an d’attente au lieu des deux-trois années habituelles).

Le Bureau des Légendes est une série d’actions. Les personnages agissent. Pas besoin d’effets superflus, d’explosions et d’action gros bras pour masquer une intrigue pauvre. Ici, le moindre dialogue entre deux portes ou une simple filature dans les rues parisiennes en racontent bien plus qu’une dizaine de rebondissements dans Homeland. La série se concentre plus sur la psychologie fouillée des personnages et leur interaction avec un récit intelligemment construit pour satisfaire un public patient et méritant.

Il existe peut-être une crise qualitative dans la production française, au moins par son nombre réduit d’oeuvres marquantes. Il faut avoir l’honnêteté d’affirmer que Le Bureau des Légendes est une réussite puissante, et gageons qu’elle poussera les diffuseurs à atteindre et maintenir un niveau d’exigence similaire.