Huits ans après les débuts fracassants salissants de tonton Dexter, c’est une nouvelle génération de tueurs qui-vont-pas-bien-dans-leurs-têtes qui s’échouent ce printemps en rangs serrés sur les écrans des networks et sur nos disques durs. De l’écrivain maudit (The Following) au gourou Charles Mansonien (The Cult) en passant par la MILF castractrice (Bates Motel), difficile de déterminer lequel de ces bras cassés nous a fait le plus rire ou le plus bailler (au choix). Heureusement, l’évocation de l’adaptation de Dragon Rouge et de nos retrouvailles avec le Docteur Lecter ne provoque aucun sentiment de cet ordre.

 

Sous la tutelle du showrunner Bryan Fuller (Dead Like Me, Pushing Daisies), Hannibal Lecter – psychiatre dandy et gastronome – se voit confier le suivi de Will Graham, ex-agent du FBI autiste Asperger, atteint d’hallucinations très utiles pour reconstituer des scènes de crimes rivalisant dans l’horreur surréaliste. On appréciera à ce niveau une réalisation et une direction artistique jusqu’au-boutistes dans le morbide, le baroque et le fantasmagorique accompagnées par une bande-son minimale mais efficace en habillage de cette série « policière » peu commune. Autour de ce qu’on appellera à grand peine « nos deux héros », des figures fortes et récurrentes : un ponte du FBI (Laurence Fishburn, qui incarne un Crawford poussant le jeune autiste un peu trop loin dans la folie), une belle psychiatre sensible au charme de ce dernier et la fille d’un serial-killer suspectée d’avoir aidé son daron dans son infâme besogne. Malgré ce dispositif scénaristique serré, c’est bel et bien l’union contre-nature de Will – personnalité bordeline – et du docteur Lecter – monstre qui s’assume – qui donne à la série tout son piquant. A-t-on déjà vu pareil couple psychotique interagir de concert pour mettre fin aux agissements d’autres freaks aussi attaqués du cerveau qu’eux ? Non. Et cette idylle étrange, déséquilibrée (comme toute idylle) renvoie loin derrière les monologues du tueur de Miami Metro, Dexter Morgan. Il faut dire qu’entre les évaluations constantes des meurtriers et celle de Will (sa projection dans la têtes des tueurs en fait une bombe à retardement), Hannibal est une série très bavarde, distillant un art du dialogue alambiqué et à double sens. Une qualité d’écriture un rien maniérée mais transcendée par l’interprétation subtile, glaciale de Mads Mikkelsen (Lecter) et un casting de premier choix (l’intense Laurence Fishburn, le fièvreux Hugh Dancy ou encore Gillian « Scully » Anderson, parfaite en analyste à la diction terne).

 

Alors oui, on aurait voulu voir dans Hannibal une sorte de next gen parfaite du psycho-killing glauque, un pas de plus franchi dans la connivence tueur/spectateur. Mais c’était avant un twist prévisible qui, autour du 10e épisode, efface la zone grise de la morale dans laquelle se tenait fièrement et se soutenait le couple Will/Hannibal. Soudain, toute l’humanité contrariée, toute la générosité en tension dont fait preuve le psy cannibale disparaît pour ne laisser apparaître que ses agissements calculateurs et mesquins. En attendant une deuxième saison et des précisions sur sa nouvelle dynamique narrative, nous voilà donc, nous, spectateurs, dans la même situation que les flics régulièrement invités à la table du bon docteur qui leur sert (running gag unique de la série) des morceaux de ses victimes déguisés en mets gastronomiques. Nous ne savons plus trop si sous sa sophistication indéniable et son art de l’assaisonnement raffiné, Hannibal n’essaye pas, au final, de nous faire avaler n’importe quoi.