Un couloir lugubre. Un justicier masqué combat une poignée d’hommes de main patibulaires et bien plus épais que lui. Il a beau frapper fort, ils se relèvent et frappent encore plus fort. L’homme masqué ramasse pas mal. Il halète. Il souffre. Il chute. Il reprend son souffle. Il ne subit pas, il se relève et retourne au combat. Opiniâtre et déterminé, il ne lâche rien et finit par terrasser ses adversaires et libérer l’enfant qu’ils allaient vendre. C’est la fin du deuxième épisode de la série de Marvel/Netflix et, à la faveur d’un plan séquence réminiscent de Old Boy, toute l’essence de Daredevil s’offre à nous. Ce qui aurait dû être une promesse pour la suite en sera malheureusement le chant du cygne, la série n’atteignant plus jamais ce niveau de puissance évocatrice malgré les onze (longs) épisodes restants.

Malgré de bonnes intentions évidentes le temps des premiers épisodes, Daredevil perd vite de son intérêt et s’empêtre dans tout ce qu’une série peut avoir de plus laborieux. Rapidement, la série montre qu’elle n’a pas grand chose à raconter mais qu’elle va prendre son temps pour le faire et abuser de tous les artifices possibles. Percluse de flashbacks, Daredevil se complaît à les accumuler sans faire avancer l’intrigue ou les personnages, se contentant de confirmer ce que le spectateur avait compris au détour d’un dialogue. Didactique au possible dans sa volonté de ne jamais faire confiance à son audience pour boucher les trous d’une ellipse, il n’est pas rare de voir des personnages discuter de ce qu’il vient de se passer histoire de ne laisser aucune zone d’ombre dans une histoire pourtant pas si complexe. Même la vieille astuce du “36 heures plus tôt” après une intro trépidante est usitée. Ajoutez à cela de nombreux bottle episodes qui ne disent pas leur nom (un épisode tourne autour d’une dispute entre deux personnages, bien sûr entrecoupée de flashbacks qui ne sont que la mise en images de choses dites huit épisodes plus tôt), et une série qui restera dans les mémoires pour être la première sur un justicier des rues de New York se déroulant quasiment intégralement dans des intérieurs étriqués au possible. Manque de budget ou d’ambition ? La réponse pourrait être un savant mélange des deux.

Les showrunners (l’un est l’esthète derrière La Cabane dans les bois, un film qui se croyait plus malin que ce dont il se moquait; l’autre était à la tête de l’excellente Spartacus et aurait pu équilibrer le duo) ont évoqué The Wire comme source d’inspiration mais il faut croire qu’ils sont de la même école que James Wan qui parle de polar ambiance seventies quand il livre un Fast & Furious 7. L’intrigue tourne autour du projet de réhabilitation immobilière véreux de la ville de New York par une bande de truands qui projettent d’évincer les bons et loyaux habitants de la ville pour construire des immeubles luxueux qu’ils ne pourront jamais s’offrir. Au milieu de tout ça, Foggy Nelson et Karen Page défendent les opprimés (et se paient des sous-intrigues parmi les plus lénifiantes et bouche-trous qui soient) tandis que le journaliste Ben Urich (interprété par le réalisateur de Glitter avec … Mariah Carey) se bat contre sa hiérarchie pour faire éclater la vérité dans un arc narratif balisé au possible jusqu’à l’insertion du personnage de sa femme mourante aux soins médicaux ruineux. Ajoutez à cela une police corrompue, des considérations sur le Bien et le Mal qui feraient passer Christopher Nolan pour Nietzsche et une intrigue au manque d’originalité confondant et vous comprendrez l’ennui et le désarroi ressenti face à ce Daredevil se rêvant en The Wire chez un vigilante alors qu’elle a la densité et le carburant narratif suffisant pour un film de trois heures grand maximum… Il y a sérieusement de quoi réévaluer le film avec Ben Affleck.

Là où la Maison des Idées déçoit, c’est dans ce qu’elle nous raconte tout au long de cette première saison. Sur le papier, les origines de Daredevil ont été racontées et remixées de nombreuses fois (on pense à Yellow, le chef d’œuvre de Jeph Loeb) et certains runs de ce personnage (Frank Miller et Brian Michael Bendis en tête) sont parmi ce que le medium comics a pu proposer de plus exaltant dans l’exploitation du justicier tourmenté. Malgré ce vivier de bonnes histoires, la série se contente de mettre en scène le combat archétypal du Bien contre le Mal personnifié par Wilson Fisk, le fameux Kingpin des comics, dépeint comme un mafieux balourd, amoureux et chouineur devenu ce qu’il est devenu parce que son papa n’était pas gentil avec lui. Et ce n’est pas son coup de folie le montrant éclater la tête d’un malfrat à coups de portière qui changera quoi que ce soit à cet état de fait: le mal est fait. Quand l’un des antagonistes les plus redoutables de l’univers Marvel en est réduit à cela, les derniers espoirs investis dans la série s’estompent et cette dernière a toujours un flashback ou une idée débile en stock (Daredevil, déjà pas à la fête, se fait taser par un comptable du troisième âge alors qu’il voit venir les balles avant que les truands aient l’idée de les tirer…) pour retirer à ses personnages le peu de mystère ou de stature qu’ils ont.

Plus triste encore, il semblerait que la principale idée des showrunners de la série ait été de pomper la première saison de Arrow et espérer que ça ne se verrait pas. Malheureusement, la série de l’Archer Vert a été vue par pas mal de monde et force est de revoir à la hausse l’humble réussite qu’elle a été durant ses deux premières saisons à la vue de ce pâle ersatz en reprenant des situations, des lignes de dialogues entières et même la recherche constante du cache-misère dans le filmage des scènes d’action. Nous pourrions toujours arguer que Arrow est diffusée sur la CW et qu’elle s’adresse à des ados de quatorze ans plus intéressés par les relations amoureuses des personnages que le justicier supposé en être l’attraction mais à la vue de ces treize (vraiment très longs) épisodes, Daredevil semble se contenter de s’adresser aux ados de quinze ans en pleine période dark et dépressive pour qui de rares effusions de sang suffisent à donner de la street cred à quelque chose qui en manque cruellement. Le bât blesse vraiment quand on se souvient que la première saison de Arrow était autrement dérangeante dans sa dépiction d’un vigilante n’hésitant pas à abattre froidement tout malfrat se mettant en travers de son chemin. Marvel et univers étendu propre sur lui oblige, Daredevil ne tue pas, fait beaucoup de menaces en l’air et quand il jette quelqu’un d’un toit, le malheureux tombe dans une benne à ordure. La série se veut sombre et violente mais à force de rester dans les clous d’une moralité pesante, elle finit par rendre hypocrites jusqu’à l’absurde ses (rares) excès gore et autres accès de violence alors qu’elle reste très sage niveau langage et nudité. La série est adulte comme un ado de quinze ans qui fraude pour aller voir un film interdit aux moins de seize ans. Pas plus.

Les amateurs apprécieront les clins d’oeil aux autres films de l’univers Marvel mais évoquer le final de Avengers comme ce moment où « la destruction de la ville est venue du ciel » alors que le film s’est contenté de limiter son invasion alien à un vague bout de trottoir et une terrasse de Starbucks est assez osé. Symptomatique de cette approche à l’économie supposée créer l’émerveillement, la série met en scène la destruction de Hell’s Kitchen vue depuis un penthouse de Manhattan. Les explosions sont minuscules et silencieuses, proches du pétard mouillé et à l’image de cette saison. Même au coeur de l’action et de ces quartiers ravagés par des explosions, le manque d’ampleur de la série est manifeste, le chaos se résumant, pendant tout l’épisode suivant cet explosif cliffhanger, à nous montrer Daredevil et un mafieux russe retranchés dans un immeuble miteux tandis qu’une poignée de flics s’agitent sur la chaussée. Comment ressentir le moindre sentiment d’urgence ou de danger dans ces situations face à une mise en scène dont la recherche de l’anti-spectaculaire et de l’anti-climactique semblent être les uniques projets esthétiques ? De même, les rares passages inspirés (le combat à la Old Boy, un plan séquence de l’intérieur d’une voiture réminiscent des Fils de l’Homme, un enterrement sur du Jimmy Cliff renvoyant directement à Watchmen et d’innombrables emprunts au cinéma de Christopher Nolan) renvoient tout de suite à la référence que les metteurs en scène ont piratée et annihilent souvent le peu de plaisir qui aurait pu en découler.

Trop longue, décevante, peu inspirée et cheap, Daredevil ne motive pas vraiment à attendre avec impatience les futures séries Marvel/Netflix sur Jessica Jones (par la scénariste de Twilight), Luke Cage et Iron Fist qui, si elles sont conçues sur le même moule que l’adaptation des aventures du Diable de Hell’s Kitchen ne devraient avoir aucun mal à rejoindre les films Marvel dans le dictionnaire pour leur redéfinition au long cours de l’indigence la plus crasse…