Noël 2000 s’annonce comme le Noël de tous les exploits commerciaux. La France consomme et les analystes espèrent qu’enfin le e-commerce explose. Les magazines nous proposent pour les fêtes les derniers objets techno, du portable MP3 à la peluche interactive. Pourquoi ne pas offrir un cadeau plus original… une portion de personne par exemple ? Mauvais goût ?

Olivier Goulet, jeune artiste de 31 ans, développe dans son travail une thématique autour du corps ou plus particulièrement d’un corps carcasse, d’un corps relique. Dans son atelier de la région parisienne, il moule des bustes humains. Plusieurs personnes se sont prêtées au jeu et c’est dans plusieurs galeries qu’ont été exposés ces inquiétants Trophées de chasse.

C’est sur le net et plus particulièrement à travers l’œuvre Vente de territoire par correspondance (VdtPC) que sa thématique et sa problématique prennent toute leur ampleur, dans un site internet de référence. Il a été créé dans le cadre d’un séjour artistique au CICV (rare structure française à offrir des résidences numériques). Olivier Goulet, épaulé par le staff web de l’équipe technique, a commencé à mettre en ligne son projet en 1997.

Le principe ? Vendre sur internet des parcelles du corps d’un SDF photographié et scanné sous toutes les coutures… 1 200 parcelles formant autant de territoires à s’approprier. Vous voici prêts à acquérir « l’autre » pour la somme de 50 F le fragment. Le corps est transposé en deux dimensions, le corps non plus comme une unité forte mais représentatif de toutes les précarités et de toutes les douleurs du monde. Entre cynisme et happening, Olivier Goulet propose Vente de territoire par correspondance comme une réponse à toutes les expérimentations autour du corps. Sa démarche sans concession porte en elle une poésie des plus humaines. Notre corps, notre enveloppe, à l’aube du « cybêtre », serait une zone de libre-échange. Le corps comme une principauté autonome est fracturé, éclaté en de milliers « états charnels ».

On pense aux organes cédés aux enchères sur des sites web, aux corps à vendre pour le plaisir ou pour détruire… Le corps comme territoire inconnu de tous et surtout de nous-mêmes. On songe aussi à l’absence de confrontation physique. Dans le surf, tout le monde communique par écran interposé, et ce sont de petits smileys qui sont censés représenter nos émotions physiques. Prendre comme « médium » un SDF en a fait sursauter plus d’un mais Olivier Goulet pouvait-il parler de vente de territoires sur le web en occultant cet énorme pouvoir de vampirisation, cette absence d’espace fixe et palpable si propre au réseau internet ? Il a l’art de souligner ce qui fait mal, les contradictions de notre société high-tech, la désormais indétournable fracture numérique (écrasant par là même une fracture sociale toujours d’actualité).

Vente de territoire par correspondance fait partie de ces premières œuvres web qui ont lancé le net dans un réelle démarche d’artistes. Olivier Goulet continue d’explorer les possibilités artistiques du réseau. Sa dernière création a malheureusement été déconnectée du serveur « mécène ». Infographiste dans un magazine hype pour lequel il retouche nos stars nationales, on ne doute pas qu’il y puise de nouvelles façons d’appréhender le corps et son rapport au World Wide Web. Et si vous n’avez pas l’argent nécessaire pour acheter une parcelle de peau, vous pouvez toujours la voler… un clic droit et à vous le cadeau. Le charity bizness ne commence-t-il pas toujours par soi-même ?