Précédant le descriptif de la scène, la mention « reproduction de tirages originaux » nous met tout de suite en face de la réalité, impossible de l’ignorer. Ce que l’on nous présente, ce sont des tirages authentiques, la photographie revient ici à sa fonction première : témoin. Elle capture un moment de vie, ou de mort, et le rend intemporel. Les photos sont livrées à elles-mêmes, pas d’arrangements, pas de fioritures. Les clichés ne sont ni recadrés, ni retouchés. Qui oserait le faire et pourquoi ?

Au rez-de-chaussée, on peut voir des photos trouvées, juste après guerre, dans une valise à Auschwitz. Pris par des anonymes, ces clichés montrant des familles juives à la fin des années trente sont accompagnés d’un petit descriptif qui redonne une identité aux victimes. Descriptif systématiquement accompagné de la même phrase, litanie funèbre et revendicative : « déporté puis assassiné à Auschwitz ». Là encore, ce que l’on veut nous montrer, c’est l’image, le reflet de ceux qui ont existé et que l’on reverra un étage plus bas, morts pour rien.

Lorsqu’on descend, la première chose qui frappe, avant même les clichés, c’est le silence, les visages bouleversés de ceux qui ont connu et de ceux qui découvrent cet inventaire photographique de l’innommable. Celui qui, comme disait l’écrivain Susan Sontag, « atteint de manière aiguè, profonde, instantanée ». Photos de corps, d’hommes passés à tabac, détenus dans les baraquements, morts-vivants dont la profondeur des regards est insoutenable. Pas seulement documentaire, Mémoire des camps révèle une vraie esthétique de la mort. Les contrastes du noir et blanc, jeu d’ombre et de lumière, accentuent le saillant des corps qui rend la lumière plus coupante, comme un zoom clinique. Saisissante aussi, la série de portraits des gardiens du camp de Bergen-Belsen, fonctionnaires de la mort dont le regard laisse supposer l’indifférence devant le martyre.

L’impact de l’exposition tient dans sa tragique sobriété, clichés encadrés simplement, fond blanc… l’identité d’une mémoire.

Abasourdi par tant de violence, on se rend, fébrile, à la troisième partie, qui présente les clichés de contemporains. Gilles Cohen photographie des gros plans de matricules, des mains fatiguées. Mickael Kenna livre une série de clichés à la lumière travaillée, très crue : miradors, barbelés, fours crématoires. Surprenants, les clichés couleur de la photographe Naomi Tereza Salmon qui, si on ne savait pas d’où ils proviennent en réalité, pourraient paraître conceptuels. Salmon montre des objets conservés dans les mémoriaux : barbiers, lunettes, dentiers. Une manière, pour elle, de montrer l’unique, l’individu parmi la multitude grâce à ces objets qui, comme elle le souligne, « deviennent des portraits ».

Le philosophe Theodor Adorno se demandait s’il était encore possible d’écrire des poèmes après Auschwitz. La troisième partie de l’exposition laisse le débat ouvert.