Saxophoniste en marge de la scène jazz française, Yochk’o Seffer a tout d’un grand, malgré son relatif anonymat. Tout d’abord saxophoniste au sein de la horde musicale Magma à la naissance des années soixante-dix où il compose et joue pour Christian Vander, Seffer quitte ce groupe dont il aime passionnément la musique pour se diriger vers des expériences de leader ou de coleader. Partageant la direction du groupe magmaïen Zao avec le pianiste François Cahen, il découvre aussi bien Didier Lockwood que Manu Katché, qui feront tous les deux leurs premiers pas à ses côtés. Mais c’est dans ses racines de l’homme venu de l’Europe de l’Est qu’il faut chercher pour comprendre la démarche exemplaire et la trajectoire tordue d’un Seffer toujours en proie à de nouveaux démons musicaux. Avec Perception, premier groupe jazz totalement free qui part dans les improvisations les plus folles furieuses, Seffer rencontre un pianiste d’exception, Siegfried Kessler. Dès lors la démarche de Seffer se fera de plus en plus radicale, tiraillée entre les quatuors bartokiens qu’il affectionne et les accents free de ses groupes qui se succèdent pour honorer Ornette Coleman ou John Coltrane.

Récemment, Seffer a su revenir au devant d’une scène qu’il n’aurait jamais dû quitter avec son jubilé au New Morning, l’incessant support de son label Muséa qui le soutient depuis plus de 20 ans, l’édition d’un passionnant double CD d’archives l’an dernier, ainsi que la création d’un big band original pour un festival de jazz. Car si Seffer est musicien, on n’oublie pas plus la joyeuse interdisciplinarité qu’il fait régner avec ses sculptophonies, joyeux croisement entre installations d’art moderne et saxos détournés. Depuis quelques années déjà, Yochk’o Seffer s’essayait aux joies du big band, sans cependant faire une vulgaire copie de ses glorieux aînés, mais en expérimentant de nouvelles sonorités avec le talent d’aventurier musical qu’on lui connaît. Ici, les cuivres de sa formation sont partagés en deux pelotons (cinq tubas et cinq saxophones) et soutenus par une rythmique plutôt funky et où -histoire de brouiller plus encore les pistes- le synthé et les programmations font quelques apparitions saugrenues. Le résultat est savoureux, inventif et surprenant dans ses dissonances bartokiennes et les solos incendiaires, et l’on se rappelle l’image d’un Yochk’o Seffer couvrant d’un œil bienveillant sa portée de musiciens. Un beau disque original, libre dans son esprit et sa réalisation, en attendant d’autres projets plus fous encore de cet électron fou du jazz français.