D’emblée, on est séduit : qu’on se souvienne ou pas avoir déjà entendu le délicat (et jeune : il est né en 1974) pianiste néerlandais Wolfert Brederode derrière la chanteuse Susanne Abbuehl (April puis Compass, sur le même label ; il a aussi enregistré plusieurs albums sous son nom, en trio, quartet ou quintet), il est difficile de résister au charme hypnotique des arpèges qui introduisent « Common Fields », le morceau inaugural. Envoûtants et obsessionnels comme un morceau de musique répétitive mâtiné d’influences impressionnistes, ils sont bientôt rejoints par la clarinette de Claudio Puntin, la basse de Mats Eilertsen et la batterie toute pointilliste de Samuel Roher. Le ton est donné : Currents se tient aux carrefours – celui du jazz et de la musique de chambre, celui aussi de la musique tonale et des tentations abstraites, dans la lignée lointaine des trios de Jimmy Giuffre (la sonorité boisée de la clarinette de Puntin et ses longues lignes brisées et sinueuses ne sont certainement pas pour rien dans le fait que cette référence vient spontanément à l’esprit). Sur des tempos lents et souvent élastiques, le groupe multiplie les combinaisons (duos, trios, quartets) pour offrir une musique éthérée et intrigante, qu’on ne sera pas désobligeant en disant savante et volontiers austère, même si elle ne rejette jamais la poésie et une sensibilité, disons, plus immédiate. C’est souvent passionnant, parfois exagérément introverti et réflexif, délibérément minimaliste et non-démonstratif, toujours extrêmement élégant. Les jazzeux impatients trouveront sans doute que tout cela manque de nerfs et de swing ; les amateurs de musiques nouvelles devraient en revanche trouver un grand intérêt à ce beau disque mélancolique et méditatif qui fait impatiemment attendre la suite.