Dans la catégorie « objets musicaux non identifiés », celui-là occupe à n’en pas douter une place de tout premier choix. Bienvenue dans l’univers de Vincent Segal, violoncelliste tous-terrains (c’est le cas de le dire) qui nous emmène sur les lieux de son intimité, « à des années lumières des productions anabolisées » du jazz studio formaté et aseptisé, pour reprendre et (peut-être) expliciter ses propres termes. Ce disque en 17 plages est né à partir du film Wildstyle, où l’on voit le Dj Grand Master Flash jouer chez lui, dans sa chambre ; « j’ai toujours rêvé d’un disque intime pouvant révéler à chacun notre vie particulièrement ératique (sic) de musicien », poursuit Segal, qui s’est donc lancé dans l’enregistrement (par Philippe Teissier du Cros) d’une série de duos « dans les champs de son quotidien ».

Chaque morceau a donc son partenaire (8 au total, du flûtiste Magic Malik au tromboniste Glenn Ferris en passant par le guitariste Gilles Coronado, l’accordéoniste Pascal Palisco ou la voix du chanteur et bassiste camerounais Mama Ohandja), sa petite histoire (racontée dans les notes de pochette) et, surtout, son lieu : une chapelle sur un îlot près du Cap Fréhel, le Périphérique, au coin d’un feu, au quartier de La Villette à Marseille ou dans sa cour, à Paris… Résultat : un patchwork étrange et poétique, entrecoupé de passages solos souvent réussis, d’une originalité sans failles. Les cordes du violoncelle (acoustique comme électrique) chantent de belle manière et donnent à ce livret de bord éclaté son unité ; chaque rencontre amène quelque chose d’autre par rapport aux précédentes, même si les bonnes surprises cohabitent avec des moments de perplexité ou de réserve. De fait, on peut ne pas se passionner de bout en bout pour ce kaléidoscope parfois bordélique, où le vraiment surprenant côtoie le quasi n’importe quoi, et être tenté de zapper d’une plage à l’autre pour refaire à son goût l’itinéraire du voyage originellement conçu par Vincent Segal. En vrai nomade musical, il ne devrait pas voir cette façon de l’écouter d’un très mauvais oeil.