Samedi, quelqu’un a fait un jeu de mots avec Pow et Cheveu, qui impliquait d’autres parties de l’anatomie humaine. On s’est demandé pourquoi Cheveu au singulier, et on s’est mis à parler du système capillaire de leur guitariste, Etienne Nicolas. Paul Mabillot a aussi fait une blague à propos de son chien, qu’il voudrait appeler Parmentier, pour pouvoir lui dire « Hachis Parmentier ! ». Bref, ça rigole bien à Villette Sonique.

Entre deux pique-niques, on se retrouve devant le Wild Classical Music Ensemble, groupe belge composé principalement d’handicapés mentaux (voir notre interview) avec un sentiment mitigé. Il manque le trompettiste Rudy, qui fera l’objet d’une ovation à la demande du leader Damien Magnette, filmant le public pour envoyer la vidéo au musicien parti à l’hôpital. Du coup, le concert sera moins free-jazz que kraut-punk, manquant de ces envolées mélodiques pour un résultat un peu décharné, essentiellement rythmique, ne parvenant jamais à faire oublier les handicaps des musiciens. Sensation de léger voyeurisme devant un pathos un peu trop affiché (même si évidemment sincère, spontané), et gros malaise quand deux belles nanas avec des tee-shirts « Elite Models » se prennent en selfies devant la scène. Gêne ou empathie, mon cœur balance, indécidé, et puis j’ai rendez-vous pour une interview.

Plus tard, sur la grande scène du parc, David Lemoine, le chanteur de Cheveu, reprend les marmonnements indistincts et les cris  gutturaux là où la chanteuse du Wild les a laissés, en plein soleil. Et il y a finalement plus d’art brut et de folie dans ces hymnes proto-punk, malgré les sons de boites à rythme moches et des enceintes de façade défaillantes. Les gens bondissent, ça slamme à tout-va, mais on a envie d’aller chalouper sur des rythmes plus lents, plus binaires encore, devant le duo messin Scorpion Violente, par exemple, qui crée une sorte de micro-climat gris au dessus du jardin des îles. Tout le monde semble assez  sale devant les deux musiciens, impassibles fumant clopes et buvant vodka de concert, entre deux nappes de synthés glissant vers la dissonance et la 8.6. Ambiance Carpenter et froideur hypnotique, techno-cheap sous codéine pour bizarre giallo messin… Des jeunes gens sous speed slamment au ralenti sur cinquante centimètres avant de s’écrouler en grappes. On sort hypnotisé, et tiens, il y a du soleil et des gens qui dansent là-bas, très loin là-bas, devant Awesome Tapes of Africa.

Mais il est temps d’aller s’enfermer dans la grande halle, pour Vessel (trop tard), Clark (trop tôt, pour la techno et les danseuses en synchro ridicules). Au milieu trônent Battles, désormais trio depuis le départ de Tyondai Braxton (et quelqu’un dit : « C’est Braxton qui leur écrivait les tubes »), et du coup, les chants sortent des machines, en un étrange playback inversé (un playfront ?), où les musiciens accompagnent des voix préenregistrées (sur le magistral, encore une fois, Atlas, notamment). Heureusement, la majorité du set est instrumental, virtuose, entre math-rock et techno organique, se déployant à partir de boucles superposées, en mesures composées compliquées, passant binaire sans prévenir, clair net et précis. Un peu trop peut-être pour mon voisin qui, au milieu du concert, demande très fort : « Ca commence bientôt Battles ? ». Stannier le batteur a mis comme d’habitude sa  cymbale très haute au dessus de sa batterie, se transformant en pyrotechnie à baguettes volubiles. Les deux autres encadrent en claviers et guitares polyrythmiques, déployant des harmonies infinitésimales dans le creux des fréquences. C’est très cérébral, un peu froid peut-être, mais ça n’empêche pas le corps de suivre le cerveau, sans jamais assez avoir assez de membres pour tous les détails dans le tapis. Je sors un peu lessivé, finit au bar Ourcq, l’after officielle du festival, rentre me coucher, me réveille aussitôt, écrit ce compte-rendu.