Entretemps, la programmation s’est étoffée, réussissant cette année le tour de force de faire le grand écart entre célébration d’artistes révérés (Arthur Russell, Cabaret Voltaire, Carter Tutti Void, Battles) et défrichage de pointe (Gum Takes Tooth, Ninos du Brasil), registre intimiste (Sun Kil Moon, Grouper) et énergie brute (Wild Classical Music Ensemble, Girl Band), garage-punk furax (Thee Oh Sees, Black Angels, Chocolat, Pow!) et clubbing désaxé (Vessel, Andy Stott, Levon Vincent, I-F, Christian S).
Plus rock que jamais, avec l’accent mis sur la scène française (Cheveu, Marietta, Scorpion Violente, Heimat, Pierre & Bastien, Warsawwasraw, Centenaire, Bataille Solaire), cette dixième édition s’annonce une fois de plus comme LE rendez-vous immanquable à l’approche de l’été. Plutôt que de vous rabattre les oreilles avec un sempiternel compte-rendu, nous nous proposons cette année de nous/vous mettre dans le bain au jour le jour, d’un shooting hasardeux à un micro trottoir. Histoire de vous faire tâter l’ambiance le plus instantanément possible, côté public comme côté coulisses.

Jeudi 21 mai – J1 : Et vogue le navire…

Coup d’envoi de cette dixième édition: une « dérive sonique »  le long des berges du quai de Loire, avec deux périples aquatiques sur un bateau équipé de pas moins de 24 enceintes, selon un système de son spatialisé. L’artiste Arnaud Maguet y diffusait une rétrospective des live programmés à Villette Sonique depuis dix ans, remixés, amalgamés et entrelacés les uns aux autres comme une seule et même entité musicale.

Cette odyssée sonore empruntait deux itinéraires successifs: le premier jusqu’à St Denis, d’une écluse à l’autre, le second jusqu’à Bobigny. Entre chien et loup, le son redessinait les contours des friches industrielles et révélait la ville sous un nouvel angle. On y découvrait un paysage inconnu, où les éruptions sonores ricochaient sur les immeubles et sous la voûte des ponts, offrant une résonance inédite à des fantômes de concerts vécus ou fantasmés: The Fall, Nurse With Wound, Thee Oh Sees, MF Doom, Martin Rev, Throbbing Gristle, Ty Segall, Cabaret Voltaire, Ariel Pink, Glenn Branca, Sunn O)))…

[su_youtube url= »https://www.youtube.com/watch?v=58LSYjRgG9U »][su_youtube url= »https://www.youtube.com/watch?v=X631ovnTBdQ&feature=youtu.be »]https://youtu.be/dc1AXTUFTtI[/su_youtube][/su_youtube]

Tout juste identifiables, ces rémanences d’une histoire récente – souvenirs intimes ou inconscient collectif – venaient se fondre au ronronnement du moteur, prêtant une aura spectrale à des non-lieux périurbains, où les terrains vagues en déshérence jouxtent des architectures flambant neuves. Ainsi recontextualisées, ces bribes de concerts se changeaient en une géographie psychique, propice à épouser les mutations architecturales de la périphérie.

Comme un long travelling continu au gré du flux aquatique, le navire de plaisance progressait lentement dans les flots,  jusqu’à traverser un véritable décor de science-fiction. Moment de poésie unique et fascinant quand le bateau se muait soudain en équipée de reconnaissance, illuminée par les néons de bureaux déserts, ou quand la Géode, dans la lumière du crépuscule, prenait des allures de base martienne. Pour un peu, on se serait cru dans un roman de Conrad transposé au 23ème siècle…
JB

Entourés par l’électricité d’un field recording mixant dix ans de programmation sonique et les rives du canal, on a savouré ce trip bruitiste et psychédélique, entre Jaurès et Pantin, flirtant avec les bâtiments tagués, les joggers nocturnes, les amoureux en balade, les vélos dans le sillage. L’eau dans la nuit avait des reflets de mercure, et  les basses faisaient du feedback avec l’architecture, les ponts et les folies rouge vif de la Villette. Dans le fracas d’un morceau de The Fall, Arnaud Maguet me disait qu’il aimait, en marchant dans les rues avec son casque, intégrer à ses promenades musicales le chien qui aboie au portail d’un pavillon, ou tous les sons du quotidien, comme les mêmes éléments d’une bande-son sans hiérarchie ni distinction. Tout est musique, même les klaxons des camions, les « coucous » des badauds sur la rive, les conversations de plaisance. C’est parti, on embarque.
WP