Sortie plus que discrètement cet hiver, cette compilation est un disque important. Non seulement par la rareté des titres qu’elle permet de (re)découvrir, mais également parce qu’elle est l’occasion de remettre à l’endroit quelques idées simples sur l’histoire du hip-hop. The Best of P&P Recordings ressuscite une douzaine de titres issus du catalogue de la multitude de petits labels que supervisèrent à l’époque Patrick Williams et Peter Brown (derrière P&P Recordings, i.e. Patrick Adams Productions Inc., se cachent en réalité S.O.NY.-Sound Of New York, Heavenly Star ou encore Hitmakers of America), couvrant en gros la période 1979-1982, c’est-à-dire avant que l’electro et la cocaïne ne déciment les pionniers de ce mouvement qui n’en était pas encore vraiment un. Le fait que 7 des 12 titres comportent le mot « rap » montre qu’à l’époque, ils étaient vus -et écoutés- comme des raps, et non comme du rap.

Et, comme toujours lorsque s’invente un nouveau segment de la musique populaire, ces temps héroïques étaient aussi ceux des aventuriers, des épiciers visionnaires, des petits escrocs ; Landspeed nous avait déjà donné il y a deux ans un indispensable best of des contemporains Paul Winley Records. Moins flibustier que le peu scrupuleux disquaire de Harlem, Paul Williams est avant tout un producteur de musique populaire new-yorkaise, c’est-à-dire de maxis vite faits vite pressés et exclusivement destinés à faire bouger les foules le samedi soir (rien d’étonnant pour l’homme qui, en 1982, connaîtra un succès planétaire en sortant le Last night a Dj saved my life d’Indeep). A la fin des années 70, Paul Williams était donc tout naturellement un producteur disco ; et pas un des moins aventureux quand, sous le nom de Musique, Cloud One (dont on retrouve ici un instrumental très space age) ou Inner Life (associé à la future diva house Jocelyn Brown), il inventait un disco synthétique alternatif à la voie ouverte en Europe par Giorgio Moroder.

Et c’est tout naturellement en tant que producteur disco qu’il a également été producteur de rap. Ce qui n’a rien d’étonnant : il n’est pas besoin de rappeler ici que Rapper’s delight c’était avant tout la bondissante ligne de basse du Good times de Chic. Ce sont donc les mêmes recettes que Patrick Adams et Peter Brown appliqueront pour fournir à leurs rappers les backing tracks syncopés dont ils avaient besoin : de là viennent l’ahurissante ligne de basse du Fly Guy rap de Fly Guy, qui plonge le flow languide de son Mc au milieu de bouillonnements électroniques préfigurant l’ébullition acid qui soulèvera Chicago quelques années plus tard, les filtres à la fin du Death rap de Margo’s Kool Out Crew ou les percus tribales et bruits de pistolets spatiaux du Super Jay love theme de Super Jay. De là également viennent les orchestrations soignées et les breaks luxuriants de nombre de ses autres productions, qui tranchent avec la sécheresse du rap d’après la révolution electro.

Mais l’intérêt de cette compilation ne réside pas uniquement dans la richesse de ses arrangements. Elle est également l’occasion de réentendre les intonations si particulières des pionniers du Mcing, leurs yes, yes y’all et leurs ‘Hip ! ‘Hop ! inspirés. On fera une mention toute particulière au mystérieux Fly Guy déjà évoqué plus haut, dont la scansion placide a dû apprendre une chose ou deux à Slick Rick en particulier et aux rappers Westcoast en général (héritage encore souligné par une référence à Dolemite, le comique 70’s cultissime chez les G-funksters des 90’s).

Restent deux regrets : d’abord l’incompréhensible absence du Spoonin’ rap de Spoonie Gee, séminal plaque de vinyle sortie en 1980 par S.O.N.Y. où, avant de rejoindre Enjoy puis Sugarhill, le bonhomme inventera pas mal des trucs que ses congénères apprentis rappers dupliqueront ensuite à l’infini. Et ensuite la pauvreté des notes de pochettes, très détaillées sur les débuts de Patrick Adams au milieu des années 1970, mais bien peu précises sur les morceaux repris ici (même leur date de sortie n’est pas indiquée).

Mais ne boudons pas notre plaisir : il est bon que de temps en temps les hip-hop heads se souviennent que leur musique préférée partage les mêmes racines disco que la house, à laquelle ils sont traditionnellement -et violemment- hostiles (ce que l’exemple de Kenny « Dope » Gonzales aurait pourtant dû les faire méditer depuis longtemps).